C'est Noël et j'ai fait beaucoup d'efforts pour cocher tout un tas de cases afin que cette fête qui nous réunit en famille soit belle, pour les uns comme pour les autres. Vu mon rôle assez central dans la famille, je n'ai pas l'impression de pouvoir bien me soustraire à ça. Sapin, courses, petites pensées, volaille, choux-rouge et biscuits. Noël se déroule et j'essaie qu'il se déroule bien.
Pourtant Noël est hanté. Hanté par les morts et par les survivants. Hanté par le génocide qui se déroule et que, de manière invraisemblable, rien ne semble arrêter.
(A ce stade, je ne me croirai plus obligée d'aller sortir des chiffres ou faits pour appuyer ce que nous nous tuons à dire depuis plus d'un an puisque les plus grosses institutions dont c'est le métier viennent de publier toute une série de rapports qui confirment ce que n'importe qui qui ose regarder avait d'ores et déjà très bien compris. Je me contenterai donc d'inclure ici les liens vers le rapport d'Amnesty International daté de quelques semaines - le plus exhaustif - ainsi que vers celui de Human Rights Watch, concentré sur la question de l'accès à l'eau, celui de Médecins sans Frontières également. Bien sûr il y a également la Cour Pénale Internationale et la Cour internationale de Justice. Bien sûr, il y a également le travail de la Rapporteure Spéciale de l'ONU Francesca Albanese. Bien sûr, il y a le travail de tous les journalistes qui, sur place et à distance, nous permettent de suivre et de réaliser ce qui se déroule. Pour ceux qui ne connaissent pas, je conseille notamment le Middle East Eye. Il y a les voix appelant à la raison sans relâche sur tous les réseaux qui leur sont accessibles, telles que celles de Didier Fassin et de très nombreux autres).
Tous ces travaux, toutes ces voix nous confirment que ce qui se déroule à Gaza tout particulièrement n'est pas un conflit ou une guerre comme une autre contre laquelle on ne peut pas grand-chose. Il s'agit du premier génocide filmé en direct par ses victimes comme par ses auteurs. Il s'agit d'une opération de destruction de tout un peuple, enfants y compris, sans aucune merci, orchestrée et menée très officiellement et ouvertement par un État qui continue d'entretenir des relations presque normales avec le nôtre, comme si de rien n'était.
Noël est donc hanté. Pourtant, la fête se déroule. Comme nos vies, jour après jour, avec leurs routines et leurs soucis. Comment le justifier ? A cette question, il n'y a pas de réponse qui se tienne vraiment. C'est bien là tout le problème. Je ne sais pas si mon fils de 7 ans, que j'ai tellement trainé en manifs, a plus besoin de fêter Noël comme si de rien n'était ou d'être rassuré sur le fait que malgré la confection des biscuits, je n'accepte pas que des enfants comme lui soient massacrés tous les jours, qu'ils soient blessés, affamés, et qu'une proportion effrayante de ceux d'entre eux qui survivent aient maintenant envie de mourir (revoir l'article de Didier Fassin).
Moi qui tourne et retourne tout cela dans ma tête perpétuellement, et ce depuis plus d'un an, je me dis que je vais maintenant partager ce qui me semble être le résultat de ces réflexions torturées : la fête est acceptable, elle est même souhaitable et bienvenue, si elle est un rappel, pour ceux qui croient, de ce qui est essentiel dans cette vie ; et si, pour tous, elle est un moment de retrouvailles en famille qui nous redonnera des forces pour nous atteler aux combats qui comptent vraiment. Dans les autres cas, Noël restera amer.
À toutes et tous, je souhaite joyeux Noël et joyeuses fêtes. Reposez-vous bien car l'année s'annonce rude. Je vous propose de participer à l'action collective qui a pour objectif d'empêcher l'armée israélienne de continuer à tuer avec l'assentiment de nos dirigeants. Pour objectif, la protection et la libération des Palestiniens et le respect de leurs droits. Ni plus, ni moins.
Une action par personne et par jour au moins, même petite.
Allez, en cadeau, je vous envoie les mots de Lina, mon alter ego de Gaza, qui survit là-bas dans les conditions que je vous laisse imaginer et à propos desquelles je n'ose pas poser de questions trop précises. Lina, qui m'a écrit du ghetto il y a quelques semaines les mots suivants, qui, eux aussi, me hantent:
"On voit les vidéos que tu envoies et on se réjouit de votre soutien pour nous.
Et on se sent plus forts et plus résilients."