Au cours de la nuit, l'armée israélienne a bombardé intensément la bande de Gaza. Lorsque je suis allée me coucher, une dizaine de personnes avaient déjà été tuées, dont un jeune garçon qui semblait avoir approximativement l'âge de mon plus jeune fils et dont la vidéo me hante désormais. On y voit son père insister pour que les médecins vérifient encore et encore s'il ne peut pas être sauvé. Il n'arrive pas à accepter qu'on lui dise qu'il est mort. Il ne comprend pas. Il répète "mais il est encore chaud!"
Ce garçon de moins de dix ans était encore vivant hier après-midi, il a dû jouer, rire, peut-être asticoter ses proches ? Sa famille avait réussi à le protéger pendant plus de deux ans mais il a été tué dans la soirée du mardi 28 octobre 2025, en dépit d'un cessez-le-feu soi-disant en vigueur et qui n'empêche pourtant ni les bombes, ni la faim. Des dizaines d'autres enfants ont été tués au cours des dernières heures. Au total, à l'heure où je poste mon billet, le bilan de la nuit dépassait les 100 personnes tuées.
Les morts et les blessés de la nuit trouveront-ils un écho dans les médias français ? Les déclarations israéliennes comme quoi le cessez-le-feu entre "à nouveau" en vigueur après le massacre de la nuit permettront-elles de tamiser les offuscations éventuelles ?
Pleurant dans l'obscurité, la journaliste palestinienne Bisan Owda partageait hier soir sur instagram la douleur d'être à la merci d'un État qui décide de tuer ou d'arrêter de tuer, comme on appuie sur un interrupteur. La douleur du peu de valeur qu'ont leurs vies.
Et moi je continue à avoir jour après jour des conversations avec des gens qui osent à peine dire que tout cela est inacceptable sans aller mettre dos à dos la radicalité du gouvernement israélien avec celle du Hamas. Des gens à qui il faut réexpliquer qu'il n'y a pas deux camps à opposer, mais bien une situation d'occupation et de spoliation, un État (dont on s'obstine à souligner le caractère démocratique en dépit de l'apartheid et des si nombreux crimes) doté de moyens militaires puissants qui s'attaque à une population quasiment sans défense. Qu'il s'agit d'un projet génocidaire qui ne s'arrêtera que sous pression internationale. Des gens à qui il faut rappeler les chiffres (plus de 20 000 enfants tués en deux ans, probablement bien plus, la destruction quasi totale de Gaza etc.), le droit international, nos obligations en tant qu'États tiers témoins d'exactions de ce type... Rappeler tout cela encore et toujours car le discours médiatique et politique ambiant brouille les pistes et complexifie artificiellement une situation pourtant simple :
Gaza et la Cisjordanie font partie des territoires palestiniens occupés en 1967. Des territoires qu'Israël doit quitter immédiatement, intégralement et sans conditions, et sans préjuger de la résolution, plus complexe, du conflit autour de la Palestine. Cela signifie laisser ces terres - qui ne sont déjà qu'une petite portion de la Palestine historique - à leurs habitants. Et cela signifie qu'en vertu du droit international, les Palestiniens ont le droit de se défendre, y compris par la force armée, tant que perdure cette occupation et les attaques israéliennes (c'est cela, la légitime défense).
Cela signifie laisser les Palestiniens contrôler leur territoire, leurs frontières, leur système politique et décider des moyens appropriés d'assurer leur sécurité face à un voisin extrêmement belliqueux.
Cela signifie bien évidemment cesser de bloquer ou de contrôler l'accès des biens, capitaux et personnes aux territoires palestiniens, par la terre, la mer et les airs. Cela signifie bien évidemment cesser de bombarder, d'attaquer.
Cela signifie également que les 9 000 Palestiniens toujours détenus par les Israéliens, pour la plupart sans procès et dans des conditions atroces, doivent être libérés.
Cela signifie d'ailleurs que lors du "jour d'après" qu'on attend toujours, il incombera aux Israéliens de payer pour les dommages, matériels et humains, infligés aux Palestiniens.
Faits et chiffres sont pourtant si simples...
Et moi je continue tous les soirs à chercher dans des livres le moyen de s'y prendre pour communiquer d'une manière susceptible de contrer la mécanique naturelle, humaine, du déni et de nourrir le refus nécessaire à l'arrêt de notre complicité européenne.
Il y a en Palestine des centaines de milliers d'enfants bien vivants, encore chauds.
S'engager pour que le droit international soit respecté ne permet pas de les protéger de manière directe ou immédiate de l'armée qui les attaque ou les prive de l'essentiel. Mais oser dire haut et fort que l'on refuse cette violence largement unilatérale et complètement asymétrique, oser la nommer, c'est signaler que les vies palestiniennes comptent autant que les autres et qu'il n'y a aucune justification à leur persécution continue.
Cela peut sembler bien peu. C'est pourtant un pas essentiel au sein d'une société qui laisse tant d'espace médiatique à celles et ceux qui ne cessent de trouver des justifications pour l'injustifiable et de complexifier ce qui pourtant est si simple.
Oser comme un premier pas.
Oser penser que les Palestiniens ont les mêmes droits que tous, en premier lieu celui de vivre.
Oser se dresser seul,
oser ne rien céder,
oser le faire savoir.
Il y a en Palestine des centaines de milliers d'enfants bien vivants, encore chauds.
(voir George Orwell, Pourquoi j'écris, Folio, 2022, p. 47).