Le 21 octobre 2024, le tribunal correctionnel de Paris a rendu son verdict dans l'affaire Nicolas Bedos : un an de prison, dont six mois avec sursis, pour des agressions sexuelles commises en 2023, et une relaxe "au bénéfice du doute" pour des faits de harcèlement sexuel en 2018. Une sentence qui illustre les tensions autour de la gestion des violences sexuelles dans le monde du spectacle. Mais ce jugement, loin de refermer le dossier Bedos, éclaire d'une lumière crue la complaisance de certaines sphères du pouvoir culturel et médiatique, prêtes à fermer les yeux tant que leurs favoris restent à l'affiche.
Nicolas Bedos a choisi de plaider "l'amnésie sélective"
L'accusé a justifié cette absence de souvenir par une supposée addiction à l'alcool, dont il tente de se soigner depuis, cherchant ainsi à minimiser sa responsabilité. Mais prétendre que l'ivresse abolit la culpabilité est un argument fallacieux, qui non seulement banalise les violences commises sous l'influence de l'alcool, mais refuse aussi de reconnaître la souffrance des victimes. Pas de souvenirs précis, mais la conviction – bien sûr – qu'il n'est "pas coupable". Une stratégie qui en dit long sur les rapports de force : évoquer un état d'ébriété avancé, prétendre l'absence de toute intention de nuire, et laisser les femmes se débattre avec leurs récits, leurs blessures, et les traces de ce qu'elles ont enduré. D'ailleurs, durant l'audience, l'acteur et réalisateur a multiplié les circonvolutions, oscillant entre un pathétique regret de la soirée arrosée et la dénégation de toute responsabilité morale. Un grand classique : la confusion volontairement entretenue, pour diluer la faute, la rendre presque impossible à saisir.
Pourtant, la justice a tranché. Nicolas Bedos a bien été reconnu coupable d'agressions sexuelles envers plusieurs femmes lors de soirées parisiennes en juin et août 2023. La sentence de six mois fermes montre que le tribunal n'a pas complètement fermé les yeux, même si la légèreté de la condamnation laisse un goût amer. Surtout au vu des nombreuses accusations portées par d'autres victimes restées dans l'ombre, dont les plaintes ont été classées sans suite faute de preuves "suffisantes".
Dans le monde de la culture, les choses changent... lentement !
L'affaire Bedos s'inscrit dans un contexte où la prise de conscience collective commence enfin à ébranler le monde de la culture. Sandrine Rousseau a été récemment élue présidente de la commission d'enquête sur les violences dans le secteur culturel. Une décision forte, qui marque la volonté de mettre fin aux agissements trop longtemps passés sous silence dans cet univers prétendument avant-gardiste, mais régi par des dynamiques de pouvoir archaïques. Bedos n'est pas le premier à chuter de son piédestal, et certainement pas le dernier. Mais les réactions, ou plutôt l'absence de réactions, de la part de ses pairs questionnent. Où sont les voix indignées de ceux qui s'indignent habituellement avec tant d'éloquence ? Peut-être que les amitiés, la connivence et la peur d'un "retour de bâton" sont encore trop présentes.
Pour les victimes, l'enjeu est ailleurs. Il s'agit de se reconstruire, avec ou sans la reconnaissance médiatique de leurs souffrances. Le système judiciaire, en leur accordant ce jugement partiellement favorable, leur permet d'espérer que la parole des femmes est enfin entendue. Mais dans un monde où l'impunité demeure la norme, six mois avec sursis apparaissent bien maigres face au tort causé.
A qui le tour, Gérard Depardieu ?
Alors que le procès de Gérard Depardieu approche, une des plaignantes a choisi de prendre la parole publiquement pour la première fois. Elle décrit avec courage les abus qu'elle a subis, des faits qui s'inscrivent dans la même dynamique de pouvoir, d'impunité et de silence que ceux qui ont longtemps protégé les hommes haut placé dans le secteur de la culture. Ce procès à venir est une nouvelle illustration de l'incapacité de certaines figures du monde culturel à se remettre en question, à reconnaître leurs abus, mais aussi de ceux et celles qui les défendent, dont le président de la République Emmanuel Macron. L'industrie culturelle française semble engluée dans une culture d'omerta, où les voix des victimes ne sont entendues que lorsqu'elles parviennent à surmonter un système profondément hostile. La prise de parole de cette plaignante est un signe que, malgré tout, les lignes bougent. Mais la question demeure : combien de temps faudra-t-il encore avant que ces comportements soient définitivement bannis ?
Aujourd'hui, il est urgent de dire haut et fort que la légèreté des peines pour les personnalités publiques ne doit en aucun cas faire taire la parole des victimes. La récente condamnation du fils de Guy Bedos peut apparaître comme un simple coup de semonce. Mais elle doit marquer le début d'une véritable responsabilisation collective des acteurs du monde de la culture. Il faut en finir avec les déclarations complaisantes qui déplorent mollement les "erreurs" de leurs clients, comme l'a fait son avocate, Me Julia Minkowski, à la sortie du tribunal en justifiant la formation d'un appel : « Nous sommes dans une société où pour un baiser dans le cou ou une main posée sur un jean au milieu d'une boîte de nuit, on se retrouve condamné à porter un bracelet électronique pour une durée de 6 mois ».
Comme pour l'affaire Depardieu, ce type de défense, qui consiste à valider des comportements de prédateurs, sous prétexte qu'ils sont connus, alors qu'ils sont condamnés par la justice – "Cette condamnation, cette sévérité est totalement inédite, injuste, totalement inacceptable" – ne devrait plus exister. La compassion envers les agresseurs publics est un affront à toutes les victimes. Ces déclarations édulcorées, ces appels à la clémence, participent à une culture de l'impunité qui doit être abolie. C'est le moment de les "attraper tous", pour reprendre le slogan des chasseurs de Pokémon, car chaque agresseur démasqué est une victoire pour la société tout entière, et pour celles et ceux qui, un jour, ont osé parler.