Ce mercredi 3 juillet, lors d’un débat sur BFMTV dans le cadre des élections législatives dont le second tour a lieu ce dimanche 7 juillet, Marine Tondelier, secrétaire nationale d’Europe Ecologie Les Verts et cadre du Nouveau Front Populaire, a été interrogée sur sa crainte d’un effet Laffer si le programme fiscal du NFP venait à être appliqué. Une interrogation qui peut paraître fortuite, mais qui est, en vérité, plutôt malhonnête, comme nous allons le voir.
Avant de se questionner sur la pertinence de cette intervention, il est nécessaire de revenir sur ce qu’on entend par “effet Laffer” et quelles sont les origines de ce terme. Pour faire simple, la courbe de Laffer décrit un modèle selon lequel à partir d’un certain niveau de fiscalité, les recettes de l’impôt baissent (Arthur Laffer parlait lui d’un taux de 30%, mais rien n’est jamais venu corroborer cette hypothèse). En gros les hauts revenus (car c’est surtout de ça qu’il s’agit) peuvent être taxés jusqu’à 30% maximum sinon l’Etat perd de l’argent en voulant les taxer plus. Cette baisse de rentabilité de l’impôt peut s’expliquer de plusieurs manières, que ce soit un exil fiscal, une hausse de la fraude ou une baisse de la productivité (le fameux : “qui voudrait travailler plus si c’est pour être taxé autant ?”)
Aujourd’hui encore la courbe de Laffer est beaucoup reprise par les libéraux pour s’opposer aux hausses d’impôts sur les plus aisés. Cependant, le taux de 30% avancé par Laffer a disparu, aucune étude empirique ne permettant de le confirmer. C’est sur cet argument que Reagan a basé sa politique fiscale, Laffer ayant été l’un de ses conseillers économiques. Cet exemple est l’un des préférés des libéraux pour appuyer leur projet de baisse d’impôt. Et à première vue, on ne peut leur donner tort : une explication scientifique, accompagnée d’un exemple concret, cela semble être l’exemple parfait !
Cependant si on se penche un peu plus en avant sur la situation, on flaire rapidement l’arnaque. “On sait que si on met des impôts trop élevés, on finit par avoir des recettes qui baissent” nous explique Nicolas Doze (l’éditorialiste BFMTV qui faisait face à Marine Tondelier). Et c’est déjà là un premier mensonge, car en effet, en matière d’économie, on ne sait jamais rien à l’avance. Cela s’explique simplement par le fait que, contrairement à la physique ou aux mathématiques, l’économie est une science molle (c’est à dire une science qui n’est pas quantifiable avec exactitude) car elle repose sur le facteur le plus imprédictible qui soit : le facteur humain. Affirmer que “l’on sait” est donc déjà mensonger en soit, en économie on ne sait rien à l’avance, on peut au mieux poser des hypothèses qui seront ou non confirmées.
Certains économistes ont bien essayé de rationaliser au maximum cette discipline, multipliant les formules mathématiques pour venir appuyer leurs idées. Mais chez Laffer, rien de tout ça, pas de calcul compliqué, juste une courbe dessinée sur un bout de serviette après un dîner avec ses amis républicains (histoire véridique). Pas non plus d’études empiriques pour confirmer cette belle idée, la théorie préférée de nos amis libéraux ne repose sur rien d’autre que le coup de crayon d’un économiste aviné en quête de gloire.
Les fervents défenseur de Laffer pourront m’opposer que les baisses d’impôts sous Reagan on bien conduit à une hausse des recettes fiscales, mais si l’on y regarde un peu plus près on constate que ces baisses d’impôts étaient surtout à destination des plus riches, l’impôt moyen ayant lui augmenté (cela s’explique majoritairement par la hausse de l’inflation, qui a fait gonfler artificiellement les salaires, déplaçant ainsi les gens dans des tranches d’impôts supérieur). David Stockman avouera d’ailleurs plus tard que cette réforme “a toujours été un cheval de Troie destiné à permettre de baisser le taux le plus élevé”.
En vérité les exemples concrets que brandissent les libéraux sont souvent le fruit d’une multitude de facteurs, et ce fameux effet Laffer ne possède donc pas de véritable preuve de son existence.
La vérité est que la courbe de Laffer est un argument particulièrement simpliste face à la complexité des systèmes d’impôts de nos sociétés modernes. En effet il n’existe ni un impôt unique ni un taux unique, parler de baisse d’impôt sans détailler de quoi on parle est donc inutile, sauf si notre but est de séduire le quidam moyen qui n’a jamais suivi le moindre cours d’économie.
Mais au delà de ça, même en admettant que la théorie de Laffer soit vérifiée, il reste toujours le problème de trouver le taux marginale d’imposition à partir duquel la recette de l’impôt décroît, et cela donc pour chaque impôt mais aussi pour chaque tranche de l’impôt sur le revenu. Si l’on prend l’exemple de la France on peut constater deux choses : la première c’est que la hausse des prélèvements obligatoire ne semble pas accroître le déficit, au contraire. La deuxième, c’est que la politique fiscale en faveur des plus riches que mène Emmanuel Macron depuis son arrivée au pouvoir (suppression de l’ISF, Flat-Tax…) ne semble pas s’être traduite par une hausse incroyable des recettes fiscales. Si l’on suit la logique de notre ami Laffer, cela signifierait donc que nous n’avons pas encore atteint le taux d'impôt qui ferait diminuer les recettes et qu’il serait donc bénéfique pour tous d’augmenter le taux d’imposition des plus riches.
Ainsi, que la courbe de Laffer soit vraie ou pas, il semblerait que nous n’ayons pas grand chose à craindre d’une hausse des impôts pour les plus fortunés. Ainsi on peut se demander pourquoi Nicolas Doze demande à Marine Tondelier si elle craint un effet Laffer. Certains pourraient y voir de la malhonnêteté de la part de l’expert en économie de BFM, mais l’on peut aussi garder le bon soupçon et se dire que ce cher Nicolas n’ a en fait rien compris à ce dont il parlait. Après tout, il reste un éditorialiste qui sort d’une école de journalisme et non pas d’économie. Cela pourrait aussi expliquer pourquoi il cite Thomas Piketty comme un défenseur de Laffer quand l’économiste français est connu pour ses travaux sur les inégalités et la manière dont les politiques fiscales libérales des années 80 ont contribué à les augmenter. D’ailleurs Piketty s’est toujours exprimé en faveur d’une hausse de la fiscalité jusqu’à 90% pour les plus riches, un point que semble avoir oublié notre expert BFM qui serait bien inspiré d’aller relire les économistes qu’il cite tant il semble avoir tout compris de travers.
Pour conclure, l’effet de Laffer ou courbe de Laffer est une théorie des années 70 qui ne s’appuie sur aucune base empirique et rejetée par de nombreux économistes. Craindre un effet Laffer aujourd’hui ce serait comme refuser de sortir de chez soi un jour d’été de peur qu’il se mette à neiger, c’est possible mais hautement improbable.