Période d'élection oblige, il est temps de décrire en quoi l'affirmation "Augmenter les salaires provoquera de l'inflation, ce n'est pas souhaitable et utopique !" est au moins fallacieuse, au pire dangereuse pour notre société.
Nous sommes ici dans une rhétorique typique dans le domaine économique, affirmant que certaines mesures sont naturellement et mathématiquement bonnes quand d'autres relèvent de l'utopie, du rêve et ne sont pas applicables dans la réalité.
C’est oublier que l'économie est avant tout une science molle (n'en déplaisent à certains intervenants classiques chevronnés), liée à d'innombrables facteurs sociaux, culturels, anthropologiques et avant tout humains, donc complexe à objectiver.
Mais restons sur une des phrases les plus employées durant cette période d'élection : "la hausse des salaires n'est pas souhaitable, car cela entraîne de l'inflation".
D'abord, l'inflation n'est pas un problème en soi, c'est d'ailleurs plutôt révélateur d'une bonne santé économique. Au contraire, c'est plutôt la déflation qui pose un problème, comme en témoigne le cas japonais qui arrive tout juste à sortir du marasme déflationniste qui empoisonne son économie depuis des décennies.
Ensuite, l'argument de l’inflation ne tient pas, car cela suppose donc qu'il ne faudrait jamais augmenter les salaires pour éviter une surchauffe de la demande et donc in fine de l'inflation galopante. L'utopie est donc ici le fait de penser que les salaires n'augmenteront pas, jusqu'à la fin des temps et au-delà. On comprend bien que ce n'est pas souhaitable, ni réaliste, et qu'un jour ou l'autre, il serait nécessaire d'augmenter les salaires si les conditions sont réunies.
Si on se penche sur ces conditions, il semblerait que ce soit le bon moment pour enfin revaloriser les salaires, en particulier grâce à plusieurs pistes de réponses :
En effet, la crainte de voir l'inflation s'envoler est justifiée, mais il est important de noter que l'on est déjà dans cette situation depuis la sortie de la crise du Covid, en témoigne notamment l'augmentation significative de l'indice des prix à la consommation (IPC) depuis 2022, qui touche particulièrement les personnes modestes qui ont une propension marginale à consommer plus importante que les autres classes sociales, tout en engendrant des conséquences néfastes sur l'ensemble de l'économie. L'augmentation des salaires est donc nécessaire pour endiguer ce marasme ambiant et enfin retrouver au minimum des taux de hausses du salaire réel au même niveau que le taux d'inflation.
On peut répondre à cela qu'il faut en revanche éviter la boucle salaires/prix, mais cette théorie n'a jamais été démontrée empiriquement, encore un exemple que certains éditorialistes émettent des lois "naturelles" qu'ils sont incapables de prouver.
Cette inflation structurelle depuis quelques années n'est donc pas liée à une hausse des salaires, mais plutôt à une mauvaise répartition de la richesse entre le capital et le travail. L'argument de la boucle salaire/prix ne permet pas d'expliquer l'inflation actuelle. Cette dernière peut, cependant, être décrite comme étant la conséquence d'un autre type de boucle : la boucle profit/prix.
Les chiffres sont mouvants, mais il est précisé dans de nombreuses études empiriques que cette boucle est responsable d'une grande partie de l'inflation que nous subissons. En période de ralentissement de l'inflation, les entreprises, particulièrement dans le secteur de l'énergie et dans les autres, ont ainsi une tendance à peu répercuter cette baisse sur le prix de leurs services/biens, tandis qu'en inflation prolongée, ces mêmes entreprises répercutent cette hausse sur le prix de leurs produits, avec un taux généralement supérieur à celui de l'inflation. Cela s'explique par le fait que les entreprises ont tendance depuis les années 1990 à préserver leurs marges, mais surtout et avant tout les bénéfices des actionnaires, en témoigne l'augmentation phénoménale des dividendes versées aux actionnaires des grands groupes du CAC40 depuis des années.
Si l'on rajoute à cela les aides étatiques extrêmement importantes versées à ces groupes dans le cadre du CICE, on comprend vite que le moyen d'endiguer cette inflation n'est pas de juguler encore plus la hausse moindre des salaires, mais plutôt de cibler la part du gâteau grandissante des richesses récupérées par le patronat et les actionnaires de ces grands groupes.
On comprend donc maintenant que le marasme économique, la stagnation de notre niveau de vie, la haine ambiante envers les "assistés" ou encore la situation de plus en plus précaire des citoyens français ne se corrigeront qu'en ciblant les véritables profiteurs de cet état de fait, c'est-à-dire ces grands groupes français et leurs actionnaires, qui ne font qu'amplifier la boucle profit/prix et qui se partagent la majorité du gâteau de la richesse produite.
Cette idée de gâteau n'est pas nouvelle : elle représente même le fondement de l'économie contemporaine. Cette image du partage des ressources est déterminante chez D. Ricardo, figure emblématique qui s'est penché très tôt sur les fondements de la science économique, qui explique que cette métaphore témoigne du véritable enjeu de l'économie, c'est-à-dire de déterminer le partage optimal des ressources parmi les citoyens. Dans notre cas français, il est ainsi évident que ce partage n'est absolument pas équitable entre les salariés et le patronat, largement en faveur de ce dernier, qui en plus ne se prive pas pour donner le moins de ressources possibles aux autres groupes sociaux et à l'Etat, en témoigne les chiffres effarants de la fraude fiscale estimée à environ 100 milliards d'euros par an en France (contre 1,3 milliard estimé pour la fraude sociale).
Pour conclure, c'est selon moi un non-sens de cibler les salariés comme responsable de notre situation et d'empêcher toute augmentation du salaire par peur d’une inflation (qui est déjà structurellement présente).
Il faudrait plutôt agir sur ces "profiteurs de la crise" via une taxation de profit exceptionnelle notamment, via la mise en place d'un nouvel ISF, via une taxe Tobin sur les profits financiers ou encore via une hausse de la taxation plus importante sur les grands groupes du CAC 40.
Cela est absolument nécessaire pour donner les moyens à l'Etat de soutenir les délaissés de la mondialisation, de pouvoir financer les services publics, de pouvoir investir massivement dans la transition énergétique et sociale, et enfin de pouvoir augmenter les salaires, permettant de sortir d'une dégradation significative de la condition de vie d'une majorité de Français, qui est prête à élire l'extrême droite pour en sortir.
Seul un mouvement en France est capable de changer de voie vers un avenir plus durable et sain : le Nouveau Front Populaire. A l'opposé, le programme du RN n'a aucune mention de tous ces enjeux économiques, sociaux et écologiques, mais n'est qu'un programme démagogique qui a fondé sa rhétorique uniquement et spécifiquement sur la haine de son prochain pour exister, sans proposer aucune alternative enviable pour les citoyens français.
Voter blanc lors d'un duel RN/NFP n'est pas justifiable, c'est renoncer à tout esprit critique sur ce qui nous attend.
Le programme du Nouveau Front Populaire, même s'il manque de précision et supposera un combat de longue haleine, est celui qui pourra enfin donner de l'espoir, un espoir réaliste et non utopique. Même s'il ne parviendra sûrement pas à tenir toutes ses promesses, ce mouvement pourra néanmoins mettre en lumière les mécanismes latents de blocage institutionnel, notamment en lien avec la financiarisation de l'économie et du rôle structurel de l'Union Européenne sur les décisions étatiques, budgétaires et monétaires de la France. Dans tous les cas, laisser le RN gagner ne plongera que la France vers un déclin dont il ne pourra pas se relever.
En cas de victoire du NFP, tout un combat sera à vivre et à piloter ensemble, avec la lumière au bout du tunnel.
En cas de victoire du RN, c'est un combat aliéné contre nous-mêmes et notre humanité qui sera malheureusement mené.