Toujours sans concession....
"C.J. Polychroniou : – Noam, merci pour cette interview sur les événements actuels en Europe. Je voudrais commencer en vous posant cette question : pourquoi maintenant, cette crise des migrants en Europe ?
Noam Chomsky : – Les racines de la crise remontent à longtemps. Elle touche l’Europe maintenant parce que celle-ci a fait exploser les dernières bornes, du Moyen-Orient comme de l’Afrique. Deux coups de massue occidentaux ont provoqué des conséquences dramatiques. Le premier a été l’invasion anglo-américaine de l’Irak, qui a porté un coup fatal à un pays déjà dévasté par une guerre militaire de grande envergure 20 ans auparavant, suivie de sanctions économiques quasiment génocidaires. En plus des massacres et des destructions, cette occupation brutale a enclenché un conflit sectaire qui déchire maintenant le pays et toute la région. Cette invasion a déplacé des millions de personnes, dont beaucoup ont fui et se sont implantées dans les pays voisins, des pays pauvres que l’on a laissé se débattre avec les conséquences de nos crimes.
Un des rejetons de cette invasion est la monstruosité nommée État islamique, qui contribue aux horreurs de la catastrophe syrienne. De nouveau, les pays voisins ont été contraints d’absorber le flux de réfugiés. Rien que la Turquie en héberge plus de deux millions. Paradoxalement, elle contribue à ce flux à cause de sa politique vis-à-vis de la Syrie. Elle aide le front extrémiste al-Nusra et d’autres islamistes radicaux et attaque les Kurdes qui sont la principale force de résistance au sol contre EI, qui a aussi bénéficié d’une aide kurde pas si tacite. Mais ce flux de réfugiés ne peut plus être contenu au Moyen-Orient.
Le deuxième coup de massue a détruit la Libye, devenue maintenant un chaos de groupes guerriers, une base de EI, une abondante source d’armes arrivant d’Afrique de l’Ouest et allant au Moyen-Orient, et un passage pour le flot de réfugiés venant d’Afrique. Tout cela a provoqué des conséquences à long terme. Pendant des siècles, l’Europe a torturé l’Afrique ou, pour le dire plus gentiment, exploité l’Afrique dans le but de favoriser son propre développement, pour adopter la résolution du grand planificateur américain, George Kennan, après la Seconde Guerre mondiale.
L’histoire, qui devrait être connue, est au-delà du grotesque. Pour ne prendre qu’un exemple, considérons la Belgique, qui gémit actuellement à cause de la crise des migrants. Sa richesse provient, d’une manière conséquente, du fait qu’elle a exploité le Congo, et cela avec une brutalité qui a dépassé même celle des ses concurrents européens. Le Congo a finalement acquis son indépendance en 1960. Il aurait pu devenir un pays riche et avancé un fois libéré des griffes de la Belgique, stimulant d’autant le développement africain. Il y avait de réels potentiels sous la direction de Patrice Lumumba, un des personnages africains les plus prometteurs. Hélas, celui-ci a été la cible d’une tentative d’assassinat par la CIA, mais les Belges l’ont eu avant. Son corps a été découpé en morceaux et dissout dans l’acide sulfurique. Les États-Unis et leurs alliés ont alors mis en place Mobutu, un meurtrier kleptomane. De nos jours, l’est du Congo est la scène des plus grands massacres de l’humanité, aidé par le favori américain, le Rwanda, pendant que les milices guerrières alimentent les besoins des multinationales occidentales en minéraux pour construire des tablettes informatiques et autres merveilles de la technologie. Ce phénomène touche une grande partie de l’Afrique et provoque d’innombrables crimes. Pour l’Europe, tout cela s’est transformé en une crise des migrants.
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