Un avion évolue naturellement dans un milieu hostile : l'air, un fluide d'autant plus "opaque" pour un pilote qu'il est invisible, contrairement à l'eau pour le marin.
Le pilote expérimenté a appris à comprendre les manifestations de cet élément qui, tout comme l'eau, peut onduler et s'agiter violemment. Un des dangers qu'il doit redouter le plus est l'orage (ou cunimb, abréviation de cumulo-nimbus, pour les initiés). Là aussi, il apprend qu'il y a plusieurs types d'orages, ou plutôt de systèmes orageux. Sous les tropiques, ces systèmes orageux peuvent être très impressionnants par leur gigantisme (mais les "petits" orages européens peuvent être très violents également). Il y a une chose que j'ai apprise aux États-Unis lors de trainings financés par ma compagnie. Cette chose m'a sans doute sauvée la vie lors de mes vols dans les régions tropicales : Il s'agit de la façon de pouvoir reconnaître sur l'écran du radar-méteo de son avion une tornade "horizontale".
En effet, l'Amérique du Nord est particulièrement sensibilisée aux risques qu'engendrent ces phénomènes car les masses d'air chaudes remontant du Mexique rencontrent les masses d'air froides descendant directement du Pôle Nord. Cela provoque des phénomènes météorologiques extrêmement violents, dont les tornades. Mais ce que beaucoup de gens ignorent, y compris certains pilotes pourtant chevronnés, c'est l'existence possible entre deux cellules orageuses (entre lesquelles un commandant de bord aura la sagesse de se faufiler habituellement chaque fois qu'il le peut grace à son radar de bord), d'une tornade horizontale, tornade qui peut apparaître spontanément et disparaître tout aussi vite.
La seule façon de la détecter est d'observer sur son écran radar de bord une trace dite "en hameçon" ou en "épine de rosier". En effet, cette tornade quitte une cellule orageuse pour en rejoindre une autre en drainant avec elle des quantités phénoménales d'eau (ou le plus souvent de glace car cela peut se passer à haute altitude). La vitesse des vents tourbillonnant dans une tornade ont été évalués et peuvent dépasser les cinq cents km/h (tout le monde a pu voir un camion de plusieurs dizaines de tonnes s'élever dans les airs au-dessus du Kansas, happé dans une tornade verticale), inutile d'imaginer l'impact sur un avion.
D'où l'importance de connaître, pour un pilote, sa vitesse relative par rapport à l'air dans lequel il évolue, ceci afin de la réduire et donc diminuer les contraintes de charge sur son avion.
Il faut savoir que tout aéroplane est livré avec un manuel de vol dans lequel est précisé la vitesse à appliquer en cas de traversée d'une zone turbulente, entre autre. Si les ingénieurs ont calculé ces vitesses, c'est pour qu'elles soient respectées.
Il faut savoir aussi qu'une panne d'anémomètre (ou badin ou tube pitot, c'est pareil) est banale, voire anodine (cela m'est arrivé plusieurs fois) et que tout pilote a appris a voler sans. Il existe en effet d'autres paramètres qui permettent à un pilote de gérer son vol sans danger dans des conditions normales (ce qui est la plupart du temps le cas). C'est sans doute la raison pour laquelle le remplacement de ces sondes défectueuses ne devaient pas être considéré comme une priorité. C'est un problème considéré jusqu'à maintenant comme "gênant" mais pas considéré comme majeur.
De tout cela, on peut tirer des suppositions, et uniquement des suppositions, liées au contexte dans lesquelles se trouvait le vol AF447 :
- conditions météo sans aucun doute exceptionnelles liées à la présence de plusieurs cellules orageuses noyées dans un système dépressionnaire complexe (vérifié par la consultation des cartes météo de la région que l'avion a traversé)
- défaut d'informations de la vitesse-air transmises aux trois ordinateurs de bord
- désactivation immédiate par les ordinateurs de bord du pilote-automatique, due à l'incohérence des paramètres reçus
- impossibilité pour les pilotes d'imposer à l'appareil une vitesse conforme au manuel de vol pour résister aux fortes contraintes des turbulences traversées due précisément à ces turbulences violentes et sans doute soudaines.
Si en plus (c'est bien sûr encore une supposition mais une (forte ?) probabilité), l'appareil rencontre un phénomène turbulent exceptionnel tel que la tornade horizontale que j'ai mentionné (je ne l'ai détectée qu'une fois en deux ans de vol sous les tropiques mais ça me fait encore froid dans le dos), alors toutes les conditions sont réunies pour qu'en quelques secondes on passe d'une situation banale à une situation critique puis au drame.
En tant qu'ancien pilote, je voudrais préciser que les avions sont d'une solidité qui m'a souvent étonné dans certaines situations extrêmes que j'ai rencontré. Ils sont merveilleusement conçus pour résister.
Mais lorsque les forces de la Nature se déchaînent précisément là où on ne devrait pas être et au moment où il ne fallait pas qu'on soit (!), aucun marin, aucun ingénieur, aucun pilote, aucune intelligence humaine ne peut prétendre lui résister.
L'aviation est un merveilleux outil. Il nous faut juste un peu d'humilité pour reconnaître que la Nature nous fait un cadeau fantastique en nous acceptant la plupart du temps avec bienveillance dans son univers hostile même si, de temps en temps, elle nous joue un "sale tour", et encore, sale tour d'autant plus rare qu'il est lié à un contexte malheureux. Tout est fait pour, sans arrêt, en permanence, scruter les moindres failles et les corriger. C'est de l'intérêt de tous et de toute l'industrie aéronautique.
Alors fort de ce constat, acceptons aussi qu'un objet, quel qu'il soit, lorsqu'il se déplace, soit confronté à des forces naturelles qui, heureusement rarement, nous dépassent, nous, humbles petits humains.
Aussi, n'ayez pas peur de prendre l'avion. C'est encore le moyen le plus sûr de se déplacer.