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Billet de blog 10 septembre 2009

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LE PROPHETE: La petite entreprise, et la prison de verre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je le dis tout net, un prophète, le film de Jacques Audiard, Grand prix du festival de Cannes 2009 est un très grand film. Créatif, douloureux, émouvant, violent, puissant, dur, réaliste ce film est un condensé de 2h30 où pas une minute n’est gâchée. Il est un brillant film de genre qui nous en dit long sur un milieu méconnu et souvent sujet à passion : le milieu carcéral. Nous allons y suivre un chemin de vie qui va révéler l’homme emprisonné mais aussi nous même et nos idées reçues par rapport à la prison.

Le film s’ouvre par un gros plan du personnage principal, Malik, joué par un sublime acteur jusqu’ici inconnu Tahar Rahim, extraordinaire dans l’intensité de ses expressions et particulièrement de ses regards. C’est au commencement une petite frappe de banlieue d’origine maghrébine, pauvre, et assisté par un avocat commis d’office sans envergure. Au milieu des bruits, des agressions verbales, sauvages et sèches, chaotiques. On sent son angoisse, il est prêt a être transféré, en centrale, "chez les grands" lui dit son avocat. On constate sa solitude, sa peur, il s’organise planque un petit billet de 50 euros dans sa basket défoncée, espoir dérisoire de garder une part de l’extérieur. Espoir déçu dés l’arrivée en prison ou il sera dépouillé, de tout, du fric, saisi, comme des pompes qui finiront, elles, à la poubelle. Mis à nu, comme un nouveau né ; Il abandonne déjà et il ne le sait pas encore son ancienne vie. Nouvelle naissance.

Mais la peur, la solitude et l’angoisse qu’il a dans son cœur est alors à son comble lorsque les gardiens le conduise à sa cellule avec son petit paquet de nouveau détenu. Il est perdu et seul. Moment illustré magnifiquement par son entrée solitaire dans la cour de la prison, cœur battant de cette société criminogène, apparemment close, qu'est la prison. Dés lors, cette nouvelle vie commence, immédiatement violente, agressé et dépouillé à nouveau, non comme la première fois par l’administration mais par ses codétenus, qui eux, anciens, se déplacent en bande, comme des loups. Ils identifient vite le jeune solitaire, proie facile. D’emblée les points sur les i sont mis, ici si tu es seul c’est la souffrance maximum. Dans cette courle spectateur sent qu'il y a une règle, une hiérarchie. Une société. Un patron. Il passe et sur son chemin la peur et le respect suintent dans les attitudes. On rejoint ici l’ambiance du Parrain de Coppola. Mais pour l’instant Malik ne sert à rien et à personne, son destin est donc scellé.

Mais quelqu’un va lui sauver la vie de façon paradoxale. Ce quelqu’un va le rendre soudain utile et même indispensable dans cette prison. Il va être sa victime, celui qui va lui permettre de réaliser le crime initiatique qui va l’introduire dans un « cercle », fermé et tout puissant, le clan corse de la centrale, celui qui règne en maître sur les autres détenus. Malik le tue donc, de façon atroce et cet homme mort le suivra comme un fantôme conscience tout au long du film.

En rentrant dans le cercle, par le meurtre, tout s’accélère. La vie de Malik tourne, de larbin il va grimper les échelons de la micro société criminogène, qu’a si bien décrit Foucault, l’argent va arriver aussi. Tissant des liens, les portes s’ouvrent, les yeux des gardiens se ferment, il est investi de la puissance du clan corse. Comme dans une entreprise, la prison a ses hiérarchies, ses patrons, ses meetings, durant lesquelles sont planifiées les actions à réaliser à l’extérieur pour conserver, voire amplifier le business criminel qui s'exerce dehors et par conséquence appuyer son influence dedans. Prison de verre et business du crime, Prison siége social du banditisme.

Malik va faire carrière. Oui une brillante carrière ! Il va devenir le PDG de la centrale. Il va gérer le business des corses et le sien propre, vie parallèles. Il tisse des amitiés, prépare et planifie ses trahisons, son regard change, s’affermit, de peureux, d’angoissé il devient malicieux, déterminé. Il écoute, il apprend et son intelligence s’épanouit, il est au contact du gratin du crime. Les équilibres au sein de la cour de prison changent, la lutte pour la domination s’accentue. Il faut jouer serré, lieu communautaire, la promiscuité est terrible et pourtant toutes les actions sont très égoïstes. Le moindre faux pas mène à la mort. Parfois le mitard, qui peut détruire l'esprit, se transforme en refuge pour sauvegarder le corps et échapper à la mort.

Les services rendus sont la monnaie qui lui permet de vivre dedans et d’engranger la monnaie fiduciaire dehors. Malik sort, il respire et il bosse, il engrange les succès qui font sa puissance quant il rentre là ou finalement il est si bien. Oui, il est bien en prison. Il compte. Il est important. Il est le trait d’union, le passe muraille entre le parrain corse qui ne peut sortir et l’extérieur. Il est la main que le parrain porte au dehors pour mener ses affaires, puis il devient ses yeux et ses oreilles, dans la prison, et finalement logiquement il devient le patron à sa place. Le parrain corse s’effaçant petit à petit, par trahison et morts d’alliés successifs. Malik jouit de cette réussite, dans un sourire d’extase plongé dans un bain de sang, enivrante puissance, vertige. Toujours accompagné du fantome de sa victime qui lui a ouvert cette porte du succés.Malik lui reste au centre et bouge d’un bord à l’autre de la cour. Pour finir par régner sur la cour dans son entier. Le détenu aux baskets pourris va éclipser le vieux parrain aux chaussures vernies qui a la fin marche seul dans la cour. Le cercle est bouclé. Malik finit sa peine et sort, va-t-il se réinsérer ? On peut le croire quant il part à pied avec une femme et un enfant, va-t-il laisser derrière lui cette vie ou il a eu tant de succés ? Illusion, non dehors comme dedans, encore une fois, toujours là derrière, à distance respectable de Malik suit .. la bande.. son business .. sa vie. Elle est là derriére, cela ne le quittera pas.

On le voit ce film, montre clairement que la prison n’est qu’une société ou se concentre le crime et ou pour vivre il faut réussir et donc s’insérer dans le crime. Cette réussite à l’intérieur se projette à l’extérieur, car cette vie est accrochée à l’ancien détenu, c’est devenu comme un métier. Celui qui reste longtemps prouve qu’il a du talent, normal alors, qu’il l’exerce dehors. A moins de vouloir repartir à zéro. Et comment repartir à zéro quand on a 6 ou 30 ans de prison ? Impossible. Il vit avec, il est formé humainement par la prison, l'homme détenu y tisse ses relations sociales, comme nous nous les tissons a l'extérieur. Et cette prison là ne protège en rien la société, bien au contraire. Illusion des murs de béton. Prison de verre de l’entreprise du crime.

La seule réserve que je vois à ce film. C’est qu’il traite de la criminalité issue du banditisme, drogue, casino et non de la criminalité pathologique. Or après réflexion autant on sent que pour les crimes et délits de droit commun la prison n’est finalement qu’un artifice pour rassurer la société, autant pour le meurtre de sang issus de pulsion la prison peut, peut être, être une protection réelle ?

Merci en tout cas à Audiard, de nous avoir ouvert les portes fermées des prisons comme de nos consciences.

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