Certes, faute d’une stratégie de lutte à la hauteur de la brutale détermination du pouvoir, et du rejet massif de la régression sociale qu’il voulait nous imposer, nous avons perdu. L’unité intersyndicale, qui a favorisé la mobilisation, s’est maintenue jusqu’à l’été. Mais les sommets de cette intersyndicale n’ont pas su ou pas voulu élever le rapport de forces au niveau nécessaire : construire une vraie grève générale pour bloquer réellement l’économie jusqu’au retrait du projet de loi.
Depuis lors, et contrairement à ce que les médias du système, et même certains syndicalistes, voudraient nous faire croire, la combativité des travailleuses et travailleurs n’a pas disparu. Elle se manifeste dans des grèves, surtout pour les salaires. Cela avait déjà commencé avant même le début de la bataille des retraites. On se souvient en particulier des grèves de l’automne 2022 dans les raffineries, chez Total et chez Esso. En phase d’inflation, cela n’a rien d’étonnant : les capitalistes tentent systématiquement de faire payer l’addition aux salarié.e.s, en leur proposant des augmentations inférieures au coût de la vie.
C’est ce à quoi nous avons assisté à nouveau cette année, en particulier dans le cadre des NAO (négociations annuelles obligatoires). Dans les branches et les entreprises les plus diverses, parfois porteuses de traditions de grève, mais parfois sans habitudes de lutte, voire sans organisation syndicale, nous avons vu se multiplier des bagarres souvent massives mettant en avant – parfois à côté d’autres revendications – l’exigence d’augmentations de salaires permettant de vivre décemment.
Dans les derniers mois, et pour ne mentionner que quelques exemples, dont certains sont toujours d’actualité, citons : Ubisoft (jeux vidéo), Fiducial (sécurité à la centrale de Civaux), Atalian (propreté dans les centrales nucléaires), Onela (aide à la personne), Safran (aéronautique et armement), Naval Group (construction navale militaire), Lacroix et Keolis (transports par bus), la RATP, la SNCF, le secteur aérien (contrôleurs aériens, Vueling, Air Austral, Air France). N’oublions pas non plus la récente grève – que les médias capitalistes ont forcément plus de mal à invisibiliser – dans les magasins Auchan.
Les résultats de ces luttes sont divers, mais des avancées sont obtenues dans certains cas. Parfois la simple menace de grève – à l’approche des JO – suffit à obtenir des améliorations.
Les grèves se déroulent souvent dans un cadre intersyndical unitaire, mais comme dans le cas de la lutte sur les retraites il y a un an, l’unité ne suffit pas.
Car – et c’est là une différence importante avec la question des retraites – les salaires sont décidés boite par boite. D’où une tendance à l’isolement et à l’éparpillement des luttes, et à l’inégalité des situations selon les entreprises et les secteurs. Face à cela, que faire ?
REVENDICATIONS
- Exigeons plutôt des augmentations d’un montant égal – conséquent, en centaines d’euros – pour toutes et tous les salarié.es. Il s’agit ainsi de rattraper les pertes salariales antérieures tout en mettant fin aux bas salaires indécents d’aujourd’hui.
- Exigeons l’indexation des salaires sur les prix. Cela existe en Belgique. Si nos salaires augmentaient chaque mois selon l’indice des prix, cette question ne se poserait plus chaque année. Cela implique aussi un indice correspondant vraiment aux dépenses des salarié.es. Nous devons imposer cette exigence à nos organisations syndicales.
- Ces augmentations doivent avoir lieu tout en haussant les salaires féminins au niveau des salaires masculins à qualification égale.
- Nous devons aussi soutenir les grèves et autres formes de lutte de celles et ceux des nôtres qui sont immigré.es, notamment les sans-papiers, dont le travail est indispensable au fonctionnement de la société, mais qui n’ont aucun droit et qui sont les plus exploité.es d’entre nous. Cette division de nos rangs est rendue possible par le fléau capitaliste de la sous-traitance, qui permet aussi aux patrons des grandes entreprises de faire comme s’ils n’étaient pas responsables des situations les plus scandaleuses.
STRATÉGIES DE COMBAT
Finissons-en avec cet éparpillement boite par boite et secteur par secteur. Gouvernement et patronat veulent limiter les hausses de salaires et les accorder à la tête du client. En plus des revendications ci-dessus, il faut réunir d’autres conditions pour gagner.
- Nos luttes ont besoin de soutien. Que l’on soit syndicaliste ou non, le soutien humain, par une présence sur les piquets de grève, mais aussi financier. Les organisations syndicales ont souvent perdu l’habitude des caisses de grève. Cette tradition historique du mouvement ouvrier doit redevenir une pratique syndicale courante.
- Il faut aussi renforcer la coordination entre boites et secteurs en grève. Le problème d’une paye insuffisante touche l’immense majorité des salarié.es. Par principe, il revient aux grévistes de décider en assemblées générales de la conduite de leurs luttes. Cela implique aussi de s’adresser aux autres boites en grève. Mais il incombe aussi aux organisations syndicales d’étendre les luttes, à la fois au niveau des branches à partir des entreprises les plus combatives, et toutes branches confondues.
- Pour gagner, une grève nationale interprofessionnelle reconductible est nécessaire. Nous devons interpeler nos directions syndicales pour qu’elles l’organisent, afin de bloquer l’économie jusqu’à satisfaction de ces revendications salariales, mais aussi pour faire reculer du gouvernement sur toutes ses mesures antisociales : réforme des retraites, statut des chômeurs, attaques du droit de grève, remise en cause du statut de fonctionnaire…