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Billet de blog 13 décembre 2024

Récit d’une soirée consacrée à l’ouvrage La Haine des Fonctionnaires

Un beau moment de réflexion collective au service de la lutte, ses moyens et son énergie

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mardi 26 novembre 2024, à la Bourse du Travail de Paris, sont intervenu.e.s Julie Gervais, politiste spécialiste de la haute fonction publique et des cabinets de conseil, et Willy Pelletier, sociologue, pour présenter leur ouvrage La haine des fonctionnaires, publié cette année aux éditions Amsterdam. Ils avaient déjà écrit ensemble, avec leur co-autrice Claire Lemercier, La valeur du service public, et les rencontres menées autour de ce premier ouvrage ont déclenché des questionnements sur le statut de fonctionnaire et sur la destruction méticuleuse des services publics, par les gouvernements successifs, depuis des décennies.

En association avec le collectif de Gilets jaunes de Belleville et de Paris sud, nous les avons invité.e.s pour faire découvrir leurs analyses et les lier à des idées de luttes individuelles ou collectives. Le soir de leur intervention, leur livre était 5ème des ventes dans la catégorie « Travail et cité » : honorable !

Les trois parties de l’ouvrage interrogent les idées reçues sur les fonctionnaires : obtus et paresseux ? Trop nombreux ? À dématérialiser ? Les auteur.e.s se sont livré.e.s à de minutieuses études de terrain qu’ielles retranscrivent sous forme de témoignages vivants faisant l’état des injonctions contradictoires, de la multiplication des tâches, de la perte de sens, de la multiplicité des statuts (une des sources du problème car elle éclate les collectifs de travail)… Ielles ont travaillé un style accessible au grand public, laissant leur place à certaines paroles crues, que certains éditeurs ont qualifié de « violentes ». Il s’agissait de « rendre la brutalité de ce qui était vécu » car, comme l’a dit Julie Gervais « interdire les mots populaires c’est interdire les mondes populaires ». La troisième partie se focalise sur les hauts fonctionnaires, dont les statuts sont eux aussi très variés, mais qui constituent de plus en plus une « noblesse managériale Public-Privé ». Si certains résistent un peu, la tendance est à l’oubli de l’intérêt général au profit de la réalisation d’économies toujours plus importantes, et à l’attitude la plus conformiste pour garder sa place ou progresser. Quant au recours au cabinet de conseils, il se fait de plus en plus incontournable.

Dans leur intervention orale, les auteur.e.s caractérisent les trois flots de haine que subissent les fonctionnaires : celle de la Noblesse managériale Public-Privé qui a été nourrie à la rentabilité immédiate et à la caporalisation des agent.e.s et qui ferme les yeux sur les réalités qu’elle impose, celle de milieux populaires qui ne sont plus aidés par personne, celle enfin des fonctionnaires pour eux-mêmes, empêchés dans leur vocation à aider et dégoûtés par ce qu’ils sont obligés d’effectuer. Ces trois haines s’alimentent dans un effet circulaire.

Si le livre, à part à travers quelques exemples de luttes locales ou préconisations d’améliorations, ne réfléchit pas directement sur les moyens de résistance à développer, il est clair pour les auteur.e.s qu’il faut définir « à qui profite le crime » et que la question du sens et de la vie des collectifs de travail est bien politique. Les deux auteur.e.s invité.e.s ont insisté sur le fait que nous étions à un « point de bascule » et qu’il était nécessaire de « préparer une grève générale reconductible et illimitée ». Nous n’allions pas les contredire.

La parole est laissée à une salle bien remontée, parfois prête à secouer les auteur.e.s – bien disposé.e.s à l’exercice – mais surtout bien politisée également, pas résignée à se satisfaire du constat et des analyses. Questions, remarques, éclaircissements et approfondissements ont ancré la réflexion universitaire dans la réalité de la lutte. Voici une tentative de synthèse des échanges, qui se veut plus comme un programme enthousiasmant que comme la conclusion d’un compte-rendu de lecture. 

ON FAIT QUOI ? 

1. On se met « toutes et tous ensemble » : des plus précaires au plus installé.e.s, de toutes les professions et corporations, des deux côtés du guichet (faisons sauter la barrière artificielle entre usager.es et agent.e.s), des associations aux syndicats… créons des collectifs larges, interprofessionnels, interstatuts (qu’il s’agit parfois de réactiver et d’élargir – pensez à vos listes mails ou groupes whatsapp de grève) qui réfléchissent sur l’intérêt général.


2. On multiplie et on fait se compléter les modes d’action
- on informe
- on mène des actions juridiques (ex de recours devant le Conseil d’État contre les algorithmes de la CAF)
- on dit « non » à la hiérarchie : du plus individuellement, dans de petits gestes quotidiens, au plus collectivement, en s’appuyant sur des assemblées générales
- on refuse la politesse, on retrouve l’énergie insurrectionnelle ou on en guette l’étincelle
- on prépare et organise la grève générale illimitée, en débordant les mots d’ordre des directions syndicales et en occupant les lieux de travail.

Au moment de cette présentation, nous étions à un peu plus d’une semaine de la grève du 5 décembre annoncée dans la fonction publique. Pour beaucoup de personnes il est devenu évident qu’un jour unique de grève ne suffit pas, sans pour autant être prêtes à partir pour une reconductible dans la durée. Si aujourd’hui un frémissement est perceptible, il y a tout de même une réticence, accentuée par la vacance du pouvoir...qui devrait pourtant donner une raison supplémentaire d’y aller ! Si cela ne partait pas dans les prochains jours ou les prochaines semaines : ne devrions-nous nous pas lancer notre propre date de début, pour pousser nos directions respectives à y appeler ? Doux rêve peut-être...qui ne peut arriver que si on le formule ! S'il faut proposer une date, pourquoi pas le 18 mars : cela nous donnerait un peu de temps pour préparer la lutte, et cela serait un hommage mérité à la Commune de Paris, née en ce jour de 1871.

Après cette liste censée tenir lieu de synthèse, quelques dernières prises de parole ont donné les ultimes pistes : nécessité de trouver comment « mobiliser les troupes », d’informer, de lutter contre l’externalisation, de soutenir les grèves existantes… Une Gilet jaune de Belleville a fait résonner la conclusion : 1. une partie de la fonction publique doit être mise à l’écart, la police, soignée aux petits oignons par un capitalisme jamais rassasié de profit 2. il existe un super service public, c’est la Sécurité sociale, gérée à sa création par les usager.e.s : retrouvons-nous dans collectif à faire grossir pour la défendre et, ajoutons-nous, étendre ses prérogatives. 
        
Pour prolonger cette soirée, nous vous attendons le jeudi 19 décembre, 19h30-21h30, 8 impasse Crozatier, métro Reuilly / Ledru-Rollin pour notre réunion publique sur le thème : Comment préparer la grève générale dont nous avons besoin ?

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