Mardi 5 novembre, c’était le SIAO des Hauts-de-Seine qui faisait une demi-journée de grève. Nous sommes allés interviewer deux responsables, l’un DP et l’autre DS de la structure.
Question : Bonjour, pouvez-vous d’abord vous présenter rapidement, expliquer ce qu’est le Samu Social et expliquer quels sont les enjeux de votre lutte ?
Louis-Philippe, DP : Le SIAO, il y en a dans tous les départements. On travaille pour l’Etat qui est notre financeur unique, et on est chargé de réguler toute l’offre d’hébergement sur le territoire. Sur le 92, par exemple, si vous voulez un hébergement, que ce soit en centre d’hébergement, en résidence sociale, en Solibail ou autre…ça passe par principalement par le SIAO. Pour schématiser, une personne est en recherche d’hébergement, elle voit un travailleur social qui fait une demande en ligne sur le logiciel (SI SIAO) au SIAO, et c’est nous qui faisons les propositions d’hébergements. De la même manière on gère aussi les demandes d’urgence par le 115. Donc le public est large : des gens qui sont à la rue, des familles expulsées, des femmes victimes de violence, des familles monoparentales, des réfugiés etc... Tous ces ménages en grande précarité appellent le 115 et on leur trouve une solution pour une nuitée ou pour un peu plus. Dans la mesure du possible – parce qu’il y a évidemment beaucoup plus de demandes que de places disponibles. – mais voilà ce qu’on gère.
Aujourd’hui, on est là, parce que nos conditions de travail sont déjà très compliquées – on a des salariés qui touchent 1200€, on n’a pas de 13e mois, pas de congés trimestriels, pas de RTT, à peine du télétravail – donc la moindre prime a une grande importance pour les salariés. Le SIAO ne facture pas, ne fait de bénéfices, et nos fonds proviennent uniquement des subventions de l’état. Néanmoins, comme c’est l’Etat qui nous alloue des budgets, pour un certain nombre de postes dans l’année, et qu’on n’arrive pas à pourvoir tous ces postes, ça génère des excédents. On peut avoir par exemple 50 postes budgétés pour une année et finalement, on en pourvoit que 40 ou 42. Mais cela veut dire forcément que la tâche est répartie sur ceux qui sont là. Moi, par exemple, j’étais dans un service où on est en sous-effectif depuis 2020. Au lieu de 3, on était 2 et j’ai même été tout seul très longtemps. Et il faut essayer, au maximum, d’accomplir les tâches qui doivent être faites. Quand c’est parce que c’est une difficulté de recrutement, on peut comprendre. Par contre, quand c’est la direction qui choisit de ne pas diffuser des postes parce qu’ils ont besoin de « réfléchir », ou « d’évaluer le besoin » ou autre c’est plus dur à accepter. Surtout que pendant qu’ils voient le besoin, nous on taffe ! En 2021-2022 – c’est à peu près le moment où le SIAO a commencé à vraiment grandir – on a eu des postes qui n’ont pas été pourvus. Sur les excédents qu’il y avait – puisque c’est l’Etat le financeur, c’est lui qui décide en fin d’année s’il récupère ou pas – l’Etat a laissé les excédents et la direction nous en avait reversé une partie sous forme de prime exceptionnelle pour le travail qu’on avait fourni en plus. On a donc eu cette prime en 2021, en 2022, et depuis 2 ans, rien ! On ne s’est pas réveillé du jour au lendemain, ça fait quand même un an qu’on est sur cette question. On en a parlé en réunion CSE, au directeur, par tous les moyens possibles. On a même envoyé un mail au groupement, Il faut savoir que sur le 92, le SIAO a été constitué par un groupement d’associations, un GCSMS. Environ 28 associations il me semble. Au mois de juin, on avait fait une première « action » mais c’était vraiment symbolique : on avait fait une heure ici, de 14h à 15h et on avait envoyé un mail au groupement pour leur dire : « faites quelque chose au moins pour la prime ! ». Rien n’a été fait. On a continué à en parler, et maintenant, on est fatigués ! Parce que, dans le même temps qu’ils nous refusent cette prime – et c’est ça aussi qui a été le déclencheur – ils rémunèrent des sociétés externes, de consulting, ou de DRH de transition, qu’ils payent des sommes….
Patrick, DS CGT : Une société de DRH de transition, elle était payée 1000€ par jour pendant plus de 5 mois.
Louis-Philippe : ça fait beaucoup, pour les salariés qui touchent 1200€. Donc on a demandé des explications. La direction nous explique que ce sont les tarifs moyens pour de type de prestations et que c’est une décision de la direction. Point.
Q : Vous êtes combien ici ?
Louis-Philippe : on est plus de 50, mais y il a une dizaine de postes qui vont encore arriver. Donc sur ces petits étages, on commence à être hyper-serrés, en plus. C’est naturel : on ne peut pas comprendre qu’on trouve de l’argent pour des sociétés externes et pas pour nous, les salariés, qui faisons le travail. C’est « pour ça » qu’on a décidé d’augmenter un peu la mobilisation, et on a fait la matinée de grève. Il y en a qui sont prêts à faire plus si jamais ça ne suffit pas : on perd une demi-journée, mais on se bat pour essayer d’avoir plus.
Q : Donc aujourd’hui, vous faites une demi-journée de grève ?
Louis-Philippe : oui, on va faire une demi-journée aujourd’hui.
Patrick : Je rappelle aussi une chose que mon camarade a su dire, c’est que malheureusement, on a vraiment des gens qui certains mois touchent 800 ou 1000€ (1 ou 2 Journées de maladie, si t’as pas un an dans l’entreprise, ça peut vite mettre en difficulté) ; et quand on a des primes qui nous sont refusées injustement, ça n'arrange rien. Les difficultés sont là. Moi je suis délégué syndical, lui, délégué du personnel. Je côtoie tous les jours des salariés qui galèrent à payer un loyer, et c'’est inadmissible.
Louis-Philippe : on s’occupe, certes, de gens qui sont dans des conditions très précaires, qui ont des vies très compliquées, qui ont vécu des choses horribles. Tous les gens qui sont là, ce n’est pas pour devenir millionnaires, c’est parce qu’ils ont le social chevillé au corps. On aide les autres, mais il faut aussi qu’on nous aide, nous !
Q : Est-ce que la mobilisation aujourd’hui est dans un cadre purement local, ou est-ce que c’est dans le cadre d’une coordination.
Louis-Philippe : c’est purement local.
Q : Parce qu’il y a déjà eu des mouvements ailleurs : à Paris…
Patrick : Oui, à Paris, dans le 78, dans le 94. Et c’est la même chose : Ils ont besoin de travailler, oui, mais dans de bonnes conditions. Mon collègue a parlé du bureau. Il y a un bureau pour 4 personnes, on s’y retrouve à 6 personnes. A la fin, on ne comprend pas la politique de recrutement. On ne fait pas le maximum pour recruter des postes budgétés, alors qu’on veut embaucher, sur des postes où c’est, on va dire… “nettement moins évident”. Au 115 ! Moi je travaille au 115 depuis 28 ans, et je peux vous assurer que j’ai toujours été en sous-effectif. Et je ne comprends pas qu’il y ait des sous-effectifs au niveau du 115 alors que c’est les premiers appels que nous recevons, le premier contact avec la personne à la rue. On commence enfin à être au complet, mais on ne peut pas balayer comme ça tout ce travail qui a été abattu avant par les équipes. Ça, c’est pas possible ! Mais quand on apporte ce message à la direction, c’est : bouche cousue ! Aucune réponse concrète, que des phrases toutes faites. Donc, les salariés en ont marre ! Ils prennent des situations difficiles, et en plus, on les met dans une certaine précarité ! Et ce mouvement n’est qu’un rappel qu’il faut respecter les salariés que nous sommes, comme tout être humain !
Q : Est-ce qu’on sent monter un ras-le-bol dans l’ensemble des SIAO ? Ce n’est pas seulement ici ?
Patrick : Affirmatif !
Louis-Philippe : Non, c’est pas seulement ici. Il y a le 75, le 94… Il y a déjà eu des grèves. Des 115. C’est rare, mais ça commence ! Et nous, c’est la première fois.
Patrick : On a toujours agi de manière propre : on a toujours voulu avertir, on a pris du temps, on a prévenu, on a essayé d’expliquer que ça allait mal, qu’il y avait un malaise, un problème, qu’il fallait penser aux salariés. La seule réponse qu’on a eue – je suis désolé de le dire – ça a été « attendez ! ». On nous a baladés.
Louis-Philippe : la grande réponse, c’est « on n’est pas opposé par principe, on va voir ». Sauf que concrètement, il ne se passe jamais rien.
Q : La direction était surprise qu’il y ait un mouvement de grève qui se dessine, ou est-ce qu’elle attendait ça ?
Louis-Philippe : Ils ont peut-être été surpris qu’à un moment donné, on le fasse. Pourtant, on les a prévenus souvent. Ils étaient déjà prévenus en juin quand on a fait juste une heure et qu’on leur avait dit : « on fait juste une heure, parce qu’on est responsables, qu’on ne veut pas mettre les gens en difficulté, etc. Mais il faut faire quelque chose ». Notre direction nous a dit qu’elle était surprise mais qu’en même temps, elle comprenait l'impatience des salariés. Ils avaient conscience que c’était possible, maintenant, est ce qu’ils s’attendaient à ça, je ne sais pas.
Q : Il y a beaucoup de grévistes aujourd’hui ?
Louis-Philippe : En juin, on était 90% pour cette même revendication mais on savait que pour cette demi-journée on serait moins, normal. Mais on est très contents. Presque tous les services sont représentés.
Q : Est-ce que vous avez déjà réfléchi à la suite ?
Louis-Philippe : le point positif, c’est qu’on a quand même un rendez-vous avec la directrice de la DRIHL (Direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement) à 10h. Elle nous a donné un premier rendez-vous sur un créneau d’une demi-heure, et elle a proposé de nous revoir rapidement avec la direction. Donc j’ai bon espoir qu’elle puisse nous aider à avancer sur ce dossier.
Q : Et en termes de coordination avec d’autres structures, d’autres départements etc. est-ce qu’il y a des choses qui ont déjà été faites ? Est-ce que ça pourrait être utile ?
Louis-Philippe : Franchement, j’espère que non, mais il faudra peut-être l’envisager après. On a souvent les mêmes revendications, on rencontre les mêmes difficultés, mais on va voir comment ça se passe. Pour l’instant on est très centrés sur nous.
Q : En quoi est-ce que les gens comme nous, on peut être utiles dans le combat que vous menez ?
Louis-Philippe : c’est formidable déjà, ne serait-ce que d’en parler. Et souvent on s’est aperçu que ça permet de décanter pas mal d’histoires. Parce que malheureusement, quand on n’en parle pas et qu’on fait les choses comme on l’a fait depuis un an, en envoyant des petits mails, en faisant des réunions de CSE, ça n'avance pas. Il s’est passé beaucoup de choses au SIAO et sans entrer dans les détails, on a vu que le fait que certaines choses soient mises en lumière a permis décanter des situations. Donc on verra. Moi j’ai vraiment bon espoir que la DRIHL puisse se saisir de la situation, prendre la mesure du mal-être et aider à ce qu’une solution positive soit trouvée. Personne n’a remis en cause la légitimité de notre demande, même la direction, c’est quand même important. Après, rien n’avance… Mais au moins sur la demande, il n’y a personne qui en a remis en cause la légitimité. C’est important pour nous, ça veut dire qu’on est dans notre bon droit.