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Billet de blog 5 septembre 2014

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Cessez-le-feu sur l’ambulance

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’en est trop. Nous voici au bord des abysses, dans un bateau qui dérive irrésistiblement. La publication évidemment cupide par les éditions des Arènes (pouvait-on rêver meilleur nom pour une si obscène corrida ?) d’un livre fielleux, rédigé dans la rage par une femme délaissée ayant perdu son rêve mégalomaniaque d’occuper la proue du navire amiral, fait déborder le(la) vase. Ce n’est pas le cri d’une lionne blessée, c’est une hyène qui aboie après sa proie perdue.

Mais l’indignité est surtout ailleurs : cette publication porte un coup démesuré à une institution qui vacillait déjà : la Présidence de la République. En faisant une affaire d’État de quelques péripéties conjugales, Valérie Trierweiler  piétine consciemment, au mépris de toute déontologie, la frontière pourtant si fragile entre vie publique et vie privée. Jouant avec les miroirs des salles de bain, transformant des mots lancés dans une conversation intime en sentence politique, elle détruit méticuleusement l’image publique d’un homme à qui elle ne pardonne pas de l’avoir délaissée.

Et c’est là, devant cette sinistre déconsidération, qu’il nous faut prendre sur nous d’adapter notre attitude. Sans oublier nos immenses déceptions, sans renoncer à nos ambitions, il faut proclamer un cessez-le-feu unilatéral et provisoire avec nos gouvernants. À multiplier les critiques, dans le contexte de crise, on finit par jeter de la terre sur le cercueil de l’État. Car l’échec actuel des politiques conduites, pour certain qu’il soit, ne doit pas faire oublier deux éléments : que la droite, minée par les conflits et le poids du péché sarkoziste ne ferait pas mieux ; que l’ombre du pétainisme, qui n’est que l’expression des défaites de l’esprit, s’étend sur notre futur démocratique. Peu importe les mots qu’emploie la fille Le Pen, ils habillent le même vieux cauchemar assourdissant.

Que l’on ne trouve là aucune résignation, il ne s’agit que d’une précaution temporaire, pour sauver, non pas un consensus toujours illusoire, mais le fil de la légitimité des institutions. S’il ne faut pas tirer sans cesse sur les ambulanciers, c’est que nous sommes tous dans l’ambulance. Et il reste la moitié du quinquennat pour faire la démonstration que la gauche doit et peut sortir le pays de l’ornière. Car nous pouvons rappeler haut et fort qu’il y a une gauche et qu’il y a une droite, qu’il y a une politique de gauche et une politique de droite. À condition de s’en tenir à une confiante fraternité, et de sortir de l’impasse des clichés pesants. La rhétorique dominante oppose la Gauche de gouvernement attachée au réalisme, à une Gauche idéaliste crispée sur des principes. Arrêtons les postures et les rodomontades, elles ne mènent à rien. Sur les 34 dernières années, la Gauche a tenu le gouvernail pendant 17 ans ! La question de la « culture de gouvernement » ne se pose donc plus. Gouverner, cela signifie d’abord affronter le réel, ses contraintes et ses contradictions. Ce qui en soi, dans le contexte européen de mondialisation et de crise, constitue une gageure. Mais il y a une deuxième exigence, en tension avec la précédente : celle de dessiner un avenir, de dégager un horizon d’espoir commun. Le projet politique ne peut exister qu’entre ces deux termes. Or, étranglée par les circonstances, la gauche ne parvient pas à articuler ce réel présent et cet avenir espéré. C’est pourquoi le Gouvernement godille, et qu’il ne souque pas ferme. C’est cet avenir espéré qu’il faut d’urgence définir et raccorder au présent.

Assez de ces fausses batailles de tribune où, faute de pouvoir s’en prendre aux principes, on se prend les cheveux. Le préalable est donc, d’urgence, de se rappeler ce qu’est être de gauche et être de droite. On en connaît abstraitement les valeurs, ordonnées autour de l’égalité. On en saisit plus difficilement le contenu vécu et les implications. Un homme s’était attelé à cette tâche de définition : Emmanuel Berl, remarquable et passionné observateur de la vie politique de cette Troisième République si fondatrice et si décevante. Son ouvrage La politique et les partis, reste d’une brûlante actualité. « Sur la question de savoir si je suis un homme de gauche ou un homme de droite, je ne me rappelle pas avoir hésité, je ne parviens pas à imaginer que j’hésite. Il y a là quelque chose de fondamental, d’irréductible, un choix bien antérieur à toutes les motivations. » C’est que pour Berl, il s’agit moins d’opinion, de doctrine, de méthode, que de tempérament et de fidélité. Bref, ce qu’on appellera aujourd’hui une culture politique. Berl en détaille les ingrédients, que l’on retrouve illustrés parfaitement dans un Jaurès, avec sa préférence des êtres aux choses, une foi dans les démarches de la raison, une grande délicatesse envers les humbles au malheur desquels il pense toujours, un attachement à ce que le peuple respecte et ressent. Et Berl de rassembler sa pensée en disant : « L’homme de droite préfère les choses, l’homme de gauche les gens (…). Ce goût des choses mène toujours l’homme de droite à craindre qu’on les abîme, et ce goût des gens mène toujours l’homme de gauche à craindre qu’on les opprime. »

On trouvera sans doute ces affirmations simplistes : elles sont pourtant les invariants de ce que doit être un projet politique de gauche. Indispensable à l’heure de l’insupportable rétrécissement du peuple de gauche, tel que le décrit Edgar Morin dans Le 1. La raison technocratique ne peut suffire à combler l’attente du sentiment populaire. C’est d’un équilibre retrouvé entre ces deux termes que peut jaillir le redressement. La forme peut changer, mais la nature du propos doit rester tendue vers l’avenir par cette exigence de fraternité qui constitue le lien indispensable entre le jeu toujours aléatoire de la liberté aux prises avec l’attente d’égalité.

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