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Billet de blog 10 janvier 2012

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Il faut dissoudre, Monsieur le Président (lettre ouverte à Nicolas Sarkozy)

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« Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable » (Boileau).

Monsieur le Président,

Comme de nombreux Français, j'ai écouté attentivement vos vœux à la télévision. J'ai entendu votre volonté de tenir jusqu'au bout la barre du navire dans la tempête. Personne ne mettra en doute ni votre énergie à combattre la crise, ni la sincérité de votre engagement. Vous avez parfaitement compris qu'il n'est pas de pouvoir sans vouloir. Mais il est des temps où il ne suffit pas de vouloir. Tout ce que vous avez dit sur la gravité de la situation, tout ce que chacun peut constater, ces 1000 chômeurs de plus par jour, ces 100 millions de dettes en plus par mois, cette peur du lendemain engendrée par la précarité grandissante, appelaient une réponse que vous n'avez pas donnée. Un homme seul ne peut pas prétendre réussir là où le destin collectif est en cause, à moins de disposer d'une légitimité historique incontestable. A fortiori lorsque son bilan personnel, de plus contrarié par la conjoncture, invite à la modestie. Pas plus que vos adversaires, à qui nombre de vos amis reprochent leur prudence qu'ils qualifient péjorativement d'évitement, vous ne pouvez prévoir l'évolution prochaine de l'Europe et de la France.

Il faut donc dissoudre l'Assemblée nationale. Vous en avez le pouvoir : l'article 12 de la Constitution ne met aucune entrave à cette décision qui n'appartient qu'à vous seul. Vous en avez le devoir, car vous n'ignorez pas que les remèdes, quels qu'ils soient, imposeront une union nationale pour être acceptés, une adhésion collective large pour être efficaces. Il n'est ni effort ni réussite, sans partage des objectifs et des valeurs qui leur sont associées. Or, les modalités mêmes de l'élection présidentielle contredisent cette exigence : nous voici pour quatre longs mois maintenus dans la compétition, la division et l'incertitude. Confrontés au choix réducteur d'un capitaine alors même qu'on ignore le cap qu'il faudra prendre, on risque d'ouvrir la porte à la désespérance et aux surenchères populistes qui l'accompagnent inévitablement.

Les monarchies cherchent des noms, les républiques démocratiques des projets. Seule une assemblée, démocratiquement élue, pourra fournir l'expression de la diversité des propositions. Seule elle pourra donner base et consistance à ce projet de salut public qui s'impose à l'évidence. A ces raisons générales, s'en ajoute une plus particulière qui tient à vos positions personnelles passées. En 2001, vous vous étiez fermement opposé à l'inversion du calendrier électoral réalisée par la gauche plurielle. Vous aviez alors dénoncé, avec vos amis politiques, ce renvoi des Législatives après la Présidentielle comme une manipulation électorale. La suite vous a donné raison. Il vous faut remettre le régime sur ses pieds. En prononçant la dissolution et en faisant réélire l'Assemblée nationale au mois de mars, vous corrigerez ainsi une impasse démocratique dans laquelle, malgré vous, nos institutions ont été entraînées.

Ainsi, Monsieur le Président, en prenant la décision de dissoudre comme vous y invite la situation actuelle et la cohérence de vos positions, vous permettrez aux Français de construire librement les termes d'un choix dont vous pourrez tirer pleinement une vraie légitimité, si nécessaire à l'exercice du pouvoir.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en ma haute et citoyenne considération.

Claude Patriat

Professeur de Science Politique

Université de Bourgogne

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