L’implacable dérive de l’institution présidentielle
« Amour, tout n’est qu’amour dans votre politique
Et le cœur ne sent point ce que la bouche explique »
Corneille, Othon
Paul Valéry écrivait : « Il n’y a que les sots qui pensent que s’amuser c’est n’être pas sérieux. » Et Dieu sait que la situation est sérieuse, voire tragique, avec cet abîme sidéral qui se creuse entre l’action des gouvernants et les attentes des Français. Nous avons choisi de prendre ce que les Romains nommaient la vox comica pour tenter de provoquer un sursaut, s’il en est encore temps, devant le mouvement continué d’une dérive institutionnelle. Et de sortir de l’impasse absurde où l’on tente de nous enfermer : critiquer la Gauche reviendrait à favoriser la Droite, ou pire, les extrêmes… Donc, citoyens de gauche, faites silence et faites confiance aux gouvernants actuels, sinon ce sera encore pire. En clair, pour éviter le pis, taisez le mal, qui n’est que l’avatar provisoire du mieux de demain ! Non, contre cette attitude de gribouille, il faut rompre le fer de la résignation. Car la France est malade : bien sûr, elle est atteinte par le virus de la crise internationale. Mais ce virus frappe d’autant plus fort et durablement qu’il touche un pays rongé par les bactéries paralysant son système institutionnel. On persiste, contre vents et marée, à conforter un dispositif politique totalement décalé des exigences actuelles de rassemblement des énergies et des compétences sociales. De manière ambiguë, mais implacable, la constitution de 1958, complétée et contredite par la révision de 1962, avait instauré un processus de monarchisation du pouvoir sur les ruines fumantes d’un parlementarisme défroqué ! L’heure s’y prêtait, le principal personnage de l’époque aussi. Pompidou surfa sur la vague tranquille. La crise lui succéda, Giscard maintint les apparences, mais le cœur politique n’y était déjà plus. Porté par le choc émotif de l’alternance, et par l’illusion lyrique d’une gauche retrouvée, Mitterrand allait mieux faire que restaurer la pratique gaullienne : il porta à son paroxysme la pratique monarchique. Après lui, l'impromptu de la dissolution signa la fin de la présidence impériale, et le second mandat de Chirac cultiva l’inertie. Les socialistes furent pris à leur propre piège, en tentant de réitérer la méthode Mitterrand et en inversant le calendrier électoral. Sarkozy crut tirer les marrons du feu, et brûla dans une agitation versatile et fiévreuse les dernières cartouches d’une présidence à bout de souffle, condamnant son successeur, prétextant un retour à la normalité, à l’état ectoplasmique.
L’hyper présidentialisation fausse la perspective : elle fait espérer un démiurge, elle enfante du nanisme ! Car les institutions peuvent rapetisser les hommes plus sûrement que l’inverse. À quoi sert d’entretenir l’illusion de la toute-puissance présidentielle quand les moyens de l’ambition font défaut ? Tout se passe comme si plus on prétendait à la puissance, plus on perdait en autorité. Cette belle chose qui étymologiquement signifie augmenter. C’est à cette urgente et nécessaire réforme d’un système politique inapproprié que nous avons voulu appeler en dénonçant les mœurs et les pratiques mortifères de cour auxquelles nous assistons navrés. Nous avons choisi la forme de la comédie pour cette tragédie contemporaine. Mais la comédie n’est rien d’autre qu’une tragédie lue à l’envers. Les ressorts en sont ceux que notre grand Corneille prônait : l’invraisemblance du vrai et le plaisir des sens.