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Billet de blog 12 mai 2014

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Enfin, le retournement !

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« Les lois et les institutions sont comme les horloges :
de temps en temps, il faut savoir les arrêter,
les nettoyer, les huiler et les mettre à l’heure juste
. »
Lord Byron

Les chemins de l’histoire sont toujours surprenants, à défaut d’être impénétrables : voici que la brutale et durable crise économique, amplifiant l’incertitude institutionnelle dans laquelle on s’obstinait à faire patauger nos gouvernants, accouche d’un heureux avènement ! Ce que cinq ans de cohabitation, deux présidences successives de style opposé, mais également impuissantes, n’avaient pas permis de faire, l’échec des deux premières années du mandat Hollande le provoque : non plus un redressement, mais un vrai retournement institutionnel !

Et pourtant elle tournait…

Construite et développée sur les ruines fumantes d’une IVème République incapable de faire face au choc de la décolonisation, la Cinquième du nom avait fait du volontarisme majoritaire son principe de fonctionnement. Plaquant un masque présidentiel sur des institutions maintenues juridiquement pour l’essentiel dans une logique parlementaire, elle avait rapidement mis sous l’éteignoir le subtil équilibre des pouvoirs chers aux parlementaristes pour consacrer une prééminence écrasante du Chef de l’État : celui-ci devenant simultanément Chef de l’Exécutif, Chef de la majorité présidentielle et Chef de la majorité parlementaire. Loin de corriger le système, la grande alternance de 1981, sous la férule du maître Mitterrand, avait poussé jusqu’au paroxysme la partie d’échec au Premier Ministre : il avait même su éviter le « mat », en confiant à son meilleur ennemi les rênes de Matignon, avant de s’en débarrasser sans scrupule lorsque la pièce devenait encombrante. Dix ans plus tard, Lionel Jospin, juste avant d’entraîner dans son naufrage la gauche entière, bloquera définitivement l’horloge électorale sur la pendule présidentielle, en renversant le calendrier des élections nationales.

L’inertie des partis aidant, le présidentialisme survécut à la crise de 2002. Il sembla même reprendre des couleurs avec l’élection d’un Nicolas Sarkozy érigé en démiurge contre l’impuissance apparente d’un État sclérosé dans ses habitudes. L’affaire fit long feu. Le retour à la normalité prôné par François Hollande est venu dissiper les lambeaux lascifs de l’hégémonie présidentielle. Confronté à l’urgence d’une politique de profondes réformes, on tergiverse. Le « Moi je » élyséen résonne tragiquement dans un monde politique vidé de son autorité. Communiquer l’illusion ne rend pas l’illusion communicative. Les élections municipales hier, les élections européennes demain, suffiront à montrer la profonde exaspération populaire. Outre qu’elles ouvrent une voie royale aux régressions populistes, même rajeunies et féminisées, elles consolident la fracture profonde intervenue entre les représentants et les électeurs. Elles crèvent la bulle où se sont laissé enfermer les partis de gouvernement.

Ruses de l’histoire

Sur fond de fumée de la déroute municipale, le remplacement brutal de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls, exprime beaucoup plus qu’un simple choix tactique, imposé par les circonstances. En plaçant à Matignon l’homme le plus populaire du précédent Gouvernement, le Président de la République entend certes corriger le déficit d’autorité que l’opinion lui impute, pour se donner le temps de reconstituer son capital de légitimité aujourd’hui absolument démonétisé. Il a sans aucun doute en mémoire le précédent rocardien, et s’imagine capable de tirer du futur feu présidentiel les marrons glacés d’un repli provisoire dans l’habit arbitral. Mais le temps n’est plus le même, Manuel Valls n’est pas Michel Rocard, ni François Hollande François Mitterrand. Celui-ci venait d’être réélu à une très confortable majorité avec l’appui centriste, et tout en encadrant discrètement mais fermement son Premier Ministre, il gardait par devers lui ses grands projets : la marche en avant vers l’Europe, avec à l’intérieur la réaffirmation prééminente du couple franco-allemand, et l’achèvement du Grand Louvre, symbole de la puissance régalienne généreuse.

Avec une popularité deux degrés dessous tout, une majorité déchirée, une économie en berne, dont même sœur Anne ne voit rien (ou si peu) advenir, une absence de nouveaux horizons à proposer, le leadership ne peut qu’échapper à François Hollande. Près des deux tiers des Français estiment désormais que les grandes décisions politiques ne viendront pas de l’Elysée, mais de Matignon. La fronde d’une part de sa majorité parlementaire, dirigée contre son projet de pacte de responsabilité, le contraint au repli. On voit mal comment le Président pourrait politiquement reprendre le dessus et congédier de son propre mouvement le Premier Ministre. De deux choses l’une en effet, ou le Gouvernement Valls réussit, et c’est au Premier Ministre que reviendra le bénéfice du redressement ; ou bien le Gouvernement échoue, et c’est ensemble que les deux hommes sombreront. À moins, dans cette seconde hypothèse, d’une dissolution, qui équivaudrait à rompre le fil du lien avec la majorité parlementaire.

Mais, au-delà de cette stricte question de calcul politicien, le choix de Manuel Valls traduit une évolution plus profonde : elle fait de lui le véritable Chef de la majorité parlementaire en même temps que celle-ci tend à se distinguer de la majorité présidentielle. Voilà qui oblige le Premier Ministre à une négociation permanente, à sculpter au gré des tensions contradictoires ses projets, à intégrer des propositions. Bref, à revenir à un fonctionnement plus équilibré des relations Exécutif-Législatif, donc à se rapprocher du texte constitutionnel. Et c’est un véritable retournement.

Commun dénominateur

Un retour vers le régime parlementaire qui prend d’autant plus d’épaisseur qu’il s’inscrit dans un mouvement d’ensemble. Il n’existe pas d’homme ou de parti qui seul puisse prétendre surmonter les défis du moment : l’heure est à l’ouverture et au rassemblement. Il est des problèmes qui transgressent les frontières rigides de la Droite ou de la Gauche. Sur les 28 Gouvernements de l’Union européenne, 19, soit plus des deux tiers, sont des Gouvernements de coalition. Et des 7 Gouvernements dirigés par des socialistes, un seul échappe à cette démarche : celui de la France. Car le système centré sur le Président de la République élu dans un dispositif électoral impliquant l’affrontement bipolaire, n’autorise dans les faits que des ouvertures marginales ou individualisées.

À l’heure de la mondialisation, la définition d’un projet politique, qu’il soit de Gauche ou de Droite, ne peut faire l’économie d’une prise en compte de la pluralité des attentes de la société. Le système monarchisé jusque-là pratiqué en France ne fait qu’entretenir de douloureuses illusions : il appauvrit le contenu démocratique en obligeant à passer sous les fourches caudines d’appareils partisans dévitalisés. C’est Jules Ferry qui déclarait lors de son élection à la Présidence du Sénat en 1893 : « L’harmonie cesse où l’effacement commence. »

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