« C’est de ta peur que j’ai peur. »
Shakespeare, Roméo et Juliette
C’est la triste histoire d’un cornac francilien, qui avait lu les Prédicaments de Maître Jean Buridan. Juché sur un âne fatigué, il tentait de l’emmener vers la destination qu’il avait choisie. L’âne refusait d’avancer, malgré les coups de knout verbaux : il regardait tantôt à gauche, vers un seau rempli d’avoine sociale, tantôt à droite vers une fontaine d’eau de rose. Il était comme déchiré entre ses appétits contradictoires, sa faim de justice et sa soif de moyens. Le cornac s’énervait, se faisait tour à tour pédagogue et menaçant. Pédagogue, il disait à l’âne : « Tu hésites inutilement, car il n’y a plus rien dans le seau, et la fontaine est amère. Il vaut donc mieux avancer avec moi. — Mais pour aller où, demandait l’âne ? — Vers une oasis enchantée, à 2017 pieds d’ici, où je serai proclamé roi et tout s’arrangera ! » L’âne s’obstinait, craignant un mirage au prochain virage. Alors le cornac se faisait arrogant et menaçant : « Si nous n’avançons pas, dit-il, nous allons mourir sur place ! » L’âne resta sourd, murmurant qu’il était déjà bien vieux et qu’on l’avait entraîné dans trop d’aventures. Et il mourut. Mais pas le cavalier, qui continua sa route à pied, son calibre 49.3 sur l’épaule, avant de s’acheter une autre monture…
Morale de l’histoire : l’homme qui n’a pas de mémoire court plus loin et plus longtemps que l’animal qui doit le porter sur son dos.