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Billet de blog 18 janvier 2011

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Alerte à la LRU !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand « LRU » sonne comme « A LA RUE », « blog » ne résonne plus comme « blague ». Celui qui s’ouvre ici se veut avant tout outil d’échanges et de débats sur l’application d’une LRU qui semble à plaisir disperser les enseignants-chercheurs au gré des contextes. Bref, un instrument de combat contre la résignation. A nous, ensemble, d’en faire un lieu de résistance constructive.

Indignons-nous
Bonne année à toutes, à tous, et pour reprendre le titre du fort bienvenu libelle de Stéphane Hessel, bonne année d’indignation ! L’indignation est la condition préalable de la résistance. Et nous avons collectivement besoin de résister. Non pas à une affirmation de l’autonomie des universités, qui pourrait leur permettre d’afficher leurs singularités et leurs potentialités. Durant les vingt ans où j’ai été vice-président de l’université de Bourgogne en charge du développement et de la culture, j’ai sans relâche milité pour que les universités disposent de la maîtrise de leur territoire ainsi que d’une marge d’initiative dans la manière de conduire leurs missions. Mais j’ai toujours souhaité une autonomie contrôlée et encadrée par l’État, pour ce qui concerne l'enseignement et la recherche. Il en va de l'université comme de l’art et de la culture : nos traditions républicaines ont consacré l’État meilleur rempart contre les puissances de l’économie et de l’argent. L’indépendance des enseignants-chercheurs, condition d’un libre développement de la recherche, est à ce prix. Il y a là une spécificité française, liée à la construction même de son modèle social et républicain. Dans d’autres pays, comme les États-Unis, il existe d’autres manières de garantir ce même résultat. Mais le contexte et les traditions sont différents. Et l’un des plus grands vices de la LRU, c’est de n’avoir retenu que les plus mauvais aspects du système américain, en détruisant ce qui fonctionnait correctement dans le système français.

Défaillance de la vie…
Lamennais, dans Pensées diverses, parlait de « cette défaillance de la vie où l’on dirait que le temps s’épaissit et peut à peine couler ». Sombre formule, qui résume pourtant si bien le sentiment que l’on peut éprouver aujourd’hui dans l’université. L’objet de notre indignation tient là : dans cette défaillance de la vie provoquée par la fausse autonomie mise en place par la LRU. Celle-ci, en accordant apparemment aux universités une maîtrise de leurs moyens, les emprisonnent de fait dans une voie unique, celle prétendue d’une « excellence » étroitement et bureaucratiquement bordée par un lourd système d’évaluation. Entendons-nous bien : cette excellence sera déterminée, dans la logique du classement de Shanghai, essentiellement par des critères quantitatifs : il faut faire gros, il faut faire nombre, il faut faire sonore. D’où une course aux regroupements (souvent artificiels), aux fusions, aux réunions, conditions indispensables pour apparaître en relief sur le paysage dans une logique managériale fortement concurrentielle ; d’où un usage immodéré des techniques de communication, avec recours à des cabinets privés spécialisés dans la vente de produits. Parfois, les deux à la fois, comme à l’université de Bourgogne. La formalisation du projet interrégional « Grand Emprunt » déposé par celle-ci n’a-t-elle pas été confiée à une agence de communication ? La qualité communicante prend le pas sur la densité du contenu scientifique, pour des projets qui trouvent leur sens en termes plus politiques qu’universitaires. Ainsi, Management et Performance sont en passe de constituer les « Thermopyles » des universités françaises.

A deux vitesses
Enfin, pas de toutes les universités, car à ce jeu de la concurrence certaines gagneront, renvoyant les autres, les plus nombreuses, dans les steppes arides des seconds rôles. On sait ce qui arrive à la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf. C’est néanmoins à ce jeu dangereux que s’abandonnent nombre de présidents en mal de reconnaissance. Pourtant, les universités petites et moyennes seraient mieux inspirées de développer leur « niches » d’excellence et d’encourager les filières innovantes au lieu de noyer leurs atouts dans des conglomérats banalisateurs. C’est à cela que pourrait inviter une autonomie bien comprise. Mais il faudrait, pour piloter cette évolution, des hommes ou des femmes disposant d’une vision de l’avenir universitaire.
La LRU, appliquée souplement, comportait des potentialités de changement, mais elle recelait des dangers. Installée à la hussarde, elle devient une véritable bombe à retardement. On voit en effet se matérialiser dans le paysage les craintes que l’on pouvait nourrir. Quelles étaient-elles ?
-une hyper présidentialisation
- une bureaucratisation
- une uniformisation en forme de normalisation
- une clientélisation
- une hyper communication
Tous ces éléments sont bien sûr liés entre eux, en ce qu’ils se conditionnent et se complètent les uns les autres. Avec des dosages différents, suivant les contextes. On attend des responsables universitaires qu’ils fassent preuve de talent, de mesure et, dans l’idéal, de grandeur. Du talent ? Ils n’en ont pas toujours, mais il faut leur pardonner : ils ne se sont pas choisis, ils ont été élus. Quant à la grandeur, à force de la voir exclusivement en forme de taille, on finit par perdre toute mesure. Et c’est alors la porte ouverte à une table rase destructrice.

Joviale mélancolie
La première des victimes, c’est bien sûr l’indépendance même des universitaires, qui désormais voient trop souvent leurs services et leurs promotions devenir, entre les mains de la bureaucratie présidentielle, un outil de contrôle et de soumission. Une défaveur de la cour suffit à effacer des années de services rendus. D’où une ambiance générale de résignation silencieuse. D’où aussi la nécessité de créer des espaces de liberté d’expression. Il fut un temps où l’on venait à l’université pour jouir de sa liberté de pensée et de parole. Serait-il aujourd’hui nécessaire d’en sortir ?
Je souhaiterais que ce blog soit un lieu ouvert à toutes et à tous, pour faire circuler l’information (mauvaise ou bonne) sur l’application de la LRU ; qu’il soit un endroit de confrontation et de débat. Rousseau indiquait que pour connaître les hommes, il faut regarder loin de soi ; mais que pour comprendre l’homme, il faut regarder en soi et près de soi. Appliquons cette méthode aux universités, en multipliant exemples et témoignages. Pour ma part, j’amorcerai la discussion en notant ce que j’observe à l’université de Bourgogne, qui offre un excellent cas d’étude, tant le trait y est parfois forcé jusqu’à la caricature : on y trouve même des mœurs de cour, avec ses flagorneurs et ses bouffons... En avant-goût, on se contentera de relever une note adressée aux enseignants d’une composante par l’administrateur fraîchement nommé par la présidence, et informant de la fermeture certains jours du secrétariat, afin de garantir « une distance convenable entre les enseignants et l’administration ».A l’heure de la GRH, les rapports humains ne sont plus ce qu’ils étaient. La mélancolie non plus, qui doit devenir la source de nouveaux talents pour éviter le pire.
Jonathan Swift demandait un jour à un homme pauvre comment il vivait. Celui-ci répondit : « Comme un savon, toujours en diminuant. »
Sauvons le savon.

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