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Billet de blog 19 novembre 2014

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La solitude du gardien de l’Elysée au moment du pénalty (1)

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La vieille histoire du bouc-émissaire peut aider à comprendre une part de ce qui se passe aujourd’hui dans notre France. On sait que le bouc-émissaire est un mécanisme qui permet de passer de la guerre de tous contre tous, à la guerre de tous contre un seul. Et des bouc-émissaires, nous en avons deux en présence, pour le drame d’un seul. Un vrai et un faux. Commençons par le faux : Nicolas Sarkozy, qui se déguise en victime expiatoire, harcelée par des procédures dilatoires, objet d’un complot pour empêcher son retour. Admirablement aidé par les stupidités de ses adversaires, il écarte d’un revers de main le poids de péchés qui persistent à rester encore présumés. Merci Monsieur Jouyet.

Mais plus grave que la résistible ascension d’Arturo Sarkozy, il y a la vraie statue du bouc sacrifié sur l’autel de l’Elysée. Jeté dans les profondeurs abyssales de l’impopularité, assommé de coups répétés portés par ses propres amis (Tu quoque Martina…), impuissant à juguler une crise qui n’en finit pas de commencer à finir, malheureuse victime de la basse vengeance d’une égérie repoussée, François Hollande se tient là devant nous, prostré dans une posture presque caricaturale. Jusqu’à ses lunettes qui semblent à contre-emploi. Vivante image de la résignation statufiée. Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Par quels arcanes mystérieux cet homme intelligent, souple, rond, habile négociateur de situations tendues, qu’on disait de surcroît fort pourvu d’humour, a-t-il pu se laisser pareillement ectoplasmiser ? Et se complaire à rêver qu’après-demain il fera peut-être beau…

Certes, il n’a vraiment pas eu la baraka. Dressée contre lui, une dépression économique plus durable que le développement. Arrogante, une chancelière allemande manière de Thatcher édulcorée. Libéralement butée, une Europe empêtrée. Une dette abyssale joyeusement transmise par son prédécesseur qui, non seulement content d’avoir vidé les caisses de l’État, a plumé en sortant celles de son parti… Toutes choses qui auraient pesé sur tout Président de la République. Et, dans de telles circonstances, sans trop supputer, on peut deviner ce que le destin prolongé d’un Nicolas Sarkozy aurait pu engendrer de tourmente populaire…

Mais, pour atténuantes qu’elles soient, ces circonstances néfastes n’expliquent pas tout de cette chute dans le puits des incertitudes, tant s’en faut. La responsabilité du Président reste entière sur plusieurs points : c’est lui, et lui seul qui se trouve aux commandes. Et gouverner, c’est d’abord prévoir : il apparaît clairement qu’avec son équipe, il n’a pas su anticiper sur un scénario catastrophe, qui pour être alors improbable, n’était aucunement impossible. Impréparation amplifiée par une communication en zig et en zag, amenant la parole présidentielle à être contredite rapidement par les conjonctures ultérieures, et/ou par ses propres amis. Incapacité à maintenir le Parti Socialiste dans un statut de parti de gouvernement. A cette conduite s’ajoute une obsession, en réaction contre son prédécesseur : celle d’être un Président normal, jusque dans ses faiblesses humaines. A vouloir être un doux dans un monde politique de cruauté, on finit par produire une image de boy-scoutisme, parfois attendrissante, souvent consternante. La frontière entre la transparence et l’insignifiance est si ténue ! C’est sans doute à cette même méthode qu’il faut attribuer les grandes faiblesses dans le choix des équipes gouvernementales et de son entourage. Pensait-il se protéger en ne nommant autour de lui que des clones de la promotion Voltaire, ou des cadres formatés pour une situation politique disparue ? On ne s’appesantira pas sur ces nominations inadéquates : la presse, même du soir, s’en fait sans vergogne déontologique l’écho. Nous n’en relèverons qu’une, parfaitement et tristement symbolique : le portefeuille des Affaires européennes confié à Harlem Désir. Alors même que l’Europe constitue le nœud du débat politique, voilà que l’on confie la liaison permanente à quelqu’un dont l’autorité en la matière, et l’autorité tout court, apparaissent aussi consistantes que fétu dans le vent…

Reste, au bout du compte, un monarque  isolé, écrasé par la solitude, pathétique par sa foi de charbonnier, dont il faut saluer l'inusable capacité à encaisser les buts. Il faut voir là, derrière l’image, la preuve négative d’une cause cachée de cette crise qui n’a de personnelle que la forme. Pour lourd que soit le passif des dirigeants, pour difficiles que soient les temps, tous ces éléments réunis ne justifient pas la profondeur du doute qui saisit la France, tétanise les énergies, asphyxie l’espérance. Cette solitude glacée du Gardien de l’Elysée n’est que la métaphore d’un régime politique à bout de souffle, d’un abus d’institution. Parce que de fil gaulliste en aiguille mitterrandienne, on a forgé un système hyper présidentialisé, on a fait perdre toute substance politique à l’Exécutif, retiré au jeu institutionnel toute la souplesse nécessaire pour son adaptation aux circonstances. Le monolithisme présidentiel, loin d’être un secours ou un recours, devient un obstacle dangereux : un iceberg concentré d’impuissance glacée.

Il ne sert à rien d’attendre de 2017 une solution personnelle à ce problème. L’urgence est là, qui répand chaque jour un peu plus ses relents pestilentiels des années trente… Il faut prendre la mesure d’une rupture profonde avec un processus politiquement incestueux et rendre de l’espace au temps politique. La voie est étroite. Elle existe : à suivre…

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