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Billet de blog 29 mai 2014

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La chute irrésistible de la Maison Hollande

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« La tête me tourna quand je vis les puissantes murailles
s’écrouler en deux (…) et l’étang profond et croupi
placé à mes pieds se referma tristement
et silencieusement sur les ruines de la Maison Usher. »
Edgar A. Poe, La chute de la Maison Usher.

Les institutions seraient-elles là uniquement pour qu’on s’appuie sur elles jusqu’à ce qu’elles s’écroulent ? En évoquant comme dernier rempart contre la chute une illusoire solidité institutionnelle, le Président de la République risque surtout d’entraîner l’édifice dans le marécage béant qui entoure un État dévitalisé. Les poètes pourront s’extasier devant les jeux obscurs de ce soleil agonisant et inviter à chanter le passé. Les naïfs continueront à se consoler en évoquant le chimérique retour de la croissance, et entretenir le culte d’un progrès à venir, qui pourrait bien s’avérer n’être que « la grande hérésie de la décrépitude » (le mot est de Baudelaire)… Comme jadis dans Byzance assiégée, le péril est à nos portes et l’on écoute chanter les castrats ! L’Europe, jeune de ses institutions mais vieille de ses souvenirs et de sa puissance perdue, radote et bavarde, sans proposer l’once d’une rupture fondatrice d’un avenir commun. Elle laisse, dans une indifférence glacée, les financiers sacrifier des populations entières sur l’autel flétri de leurs intérêts. L’impressionnante autant qu’inquiétante poussée des populistes de tout poil ne fait, hélas, qu’exprimer violemment cette totale indifférence au cri des peuples.

Et la France, que fait-elle pour résister au naufrage annoncé ? Très exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire. Elle capitule, plus par impuissance que par volonté. Suffit-il d’aller exhaler ses soupirs contre le sein de l’ange Merkel pour que l’horizon s’enflamme ? Ce que notre nation a perdu au fil des dernières batailles, ce n’est pas tant son rang dans les puissances économiques que le rôle historique qu’elle avait su se donner à un tournant de l’histoire. Mélenchon, qui avait sans doute relu son Michelet, l’a exprimé avec une juste émotion, en nous enjoignant à ne pas laisser « faire de la France autre chose que ce qu’elle est dans le cœur du monde ». Mais il est tard. Et le crépuscule est bien entamé. Un Président au tréfonds de l’impopularité, clamant sans être entendu que demain il fera beau. Un Président étranglé par sa propre imprévoyance et par le piège institutionnel dans lequel il s’est laissé enfermer avec gourmandise : être un Président normal dans une situation politiquement et institutionnellement anormale ne pouvait être qu’antithétique. Voici des années, quinquennat aggravant, que l’on place le Chef de l’État au four et au moulin, qu’on en fait un démiurge porteur unique de l’espérance collective. Confronté au choc d’une crise, devant à la fois arbitrer et décider, il finit très normalement par ne plus rien décider et par n’arbitrer que les caprices du temps. Contraint au repli, il laisse le devant de la scène à un Premier Ministre condamné à un rythme de valse rapide, un pas vers le Président dont il est sensé appliquer la politique, et deux pas en direction d’un Parlement devant lequel il est responsable.

Cette situation est juridiquement acceptable : la Constitution, parlementaire dans son écriture, en fait même la règle. Et que le Premier Ministre se soumette au Parlement ne serait qu'un retour à la normalité. Mais dans le contexte actuel, il s’en faut qu’elle soit politiquement praticable. Car sa viabilité suppose une majorité parlementaire qui soutienne d’abord le gouvernement et ses choix propres. Ce qui signifierait de voir le Président se replier sur ses fonctions statutaires. Cela impliquerait, ensuite et surtout, que la majorité parlementaire cesse de se définir par rapport au Chef de l’État, et de soutenir le Premier Ministre comme la corde soutien le pendu. Certes, on voit s’esquisser les contours de cette possibilité dans la fronde récente de certains députés, mais cela n’augure pas d’une nouvelle donne.

En effet, outre le retour à une fonction arbitrale du Président, une mutation du jeu des partis s’impose pour que se dessine une nouvelle forme de majorité. Et de manière criante. La honte et l’affront d’un Front nationalement au front du scrutin signe, sans qu’il soit besoin de long inventaire, un effondrement du système partisan et appelle une nouvelle lecture de la Droite comme de la Gauche. L’UMP, minée par dix ans de sarkozeries, implose, tiraillée qu’elle est entre les ambitions des uns et les refus des autres, le resserrement droitier ou l’ouverture au centre. À Gauche, le tocsin sonne pour la seconde mort du parti des Socialistes ! Car faute d’avoir pris la mesure des évolutions et pour s’être endormi sous ses lauriers souvent acquis par défaut, le PS connaît le même destin que la SFIO en 1968. Certes, il n’a pas couvert la torture en Algérie, mais il a symboliquement torturé ses électeurs, en se montrant incapable de fixer un cap vers un horizon clair et respirable. Faute d’avoir trouvé ses nouvelles frontières, il a perdu toute notion de son territoire. Il lui faut un nouvel Epinay, c’est-à-dire le mariage autour d’un projet porté par l’ambition de personnes venues de l’extérieur avec celle des survivants rénovateurs de l’intérieur.

À partir de là, une recomposition de la Gauche sera possible sur fond d’une confiance retrouvée et d’un espoir partagé de gouverner efficacement. Un retour à des formes proportionnelles de scrutin pourra faciliter les choses, en brisant le diktat majoritaire castrateur et en permettant les regroupements. L’Italie vient de montrer qu’il ne s’agissait pas d’une vision utopique. Mais pour l’heure, mesurons le danger. La Maison Hollande s’effondre, et la seule question qui vaut est : comment éviter qu’elle emporte dans sa chute l’édifice institutionnel et politique ? Le passé nous retient, l’avenir nous angoisse, ne laissons pas le présent nous échapper.

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