Combien faudra-t-il de drames humains comme Sivens pour que l’on comprenne enfin que les Conseils généraux doivent disparaître corps et biens ? Conçus rationnellement en 1790 pour gérer une France rurale, outils d’un système politique soucieux de centralisation afin de faire prévaloir l’intérêt général sur les vieux particularismes provinciaux, ils obéissaient à une logique d’unité nationale et d’égalité. Ils sont aujourd’hui totalement inadaptés, économiquement, socialement et politiquement. Loin de garantir l’intérêt général, ils finissent par l’obscurcir dans la fumée des inévitables clientélismes, d’autant plus pesants qu’ils prétendent à l’authenticité locale. Vue du reste de la France, l’affaire du barrage de Sivens semble illustrer trop crûment le piège de ces intérêts locaux coalisés autour d’élus soucieux de pérennisation dans leur fonction. Car, ils ont beau se targuer de la noble ruralité, ils ne sont plus en situation de réellement la défendre.
Il y a beaucoup trop d’instances politiques électives. Et trop d’élus affaiblissent la vraie représentation des territoires. Il y a trop de champ donné aux groupes de pressions locaux, aux réseaux de clientèles, dont les contradictions internes peuvent être paralysantes. Trop d’emboitement et de superposition inévitables de compétences. Avec à la clef, une perte de lisibilité et d’efficacité sociale. À vouloir consacrer une France à deux vitesses, l’une rurale, l’autre urbaine, on renforce le mur qui s’est installé entre les deux, on consolide la fracture.
Quant au couplet de l’abandon des campagnes en cas de disparition des Conseils généraux, il relève, au mieux de la naïveté, au pire de la mauvaise foi. Un renforcement des compétences et des moyens des communautés de communes, dialoguant avec des Régions elles-mêmes plus affirmées, répondrait plus directement, plus immédiatement, plus complètement aux attentes des populations éloignées. Et surtout, la participation démocratique à la vie des pays peut (et doit) prendre d’autre formes que la confiscation par un groupe de notables professionnels de la représentation.
À l’heure où, visiblement, le Gouvernement s’apprête, pour un plat de lentilles amères, à sanctifier les élus départementaux, on nous pardonnera la dureté des mots, hélas indispensables pour révéler la gravité des maux.