« Un massacre » déclare un des témoins… qui ajoute : « Le cauchemar n’a pas cessé ». Puis qui continue, en situant certaines scènes à proximité du Bataclan (çà ne s’invente pas) : « J’ai vécu, pour la première fois et sans avoir pu imaginer ça possible, des scènes de guerre en plein Paris ». Mademoiselle, SVP, avez vous pensé, en déclarant cela, à ceux qui étaient au Bataclan et sur les terrasses de cafés alentours un certain 13 novembre 2015 ? Eux, pour ceux qui s’en sont sortis, ont vécu un massacre, un cauchemar, des scènes de guerre. A lire les vôtres, quels mots auraient-ils dû employer pour décrire ce qu’ils avaient traversé ? Une autre, asphyxiée par les gaz se décrit disant aux CRS : « Je meure ! ». Le 13 novembre et, pour mémoire en janvier 2015 aussi, d’autres n’ont même pas eu le temps de dire qu’ils mourraient : ils sont morts, tout simplement, atrocement. Sous l’œil électronique de Gabriel Dumas-Delage (le premier témoin de votre sujet) un jeune homme qui dit avoir « 10 ans de manifs derrière lui (à chacun ses guerres) raconte avoir assisté à une scène « jamais vue » : une charge de police « spéciale journalistes ». Jamais vue par qui ? Par ce « vétéran » des défilés parisiens ? Et bien il n’est pas encore assez « ancien » pour ne pas s’étonner.
Journalistes cible, une vieille histoire
Rien ne change. Je me souviens des fins de cortège des années 90, vers 2h/3h du matin Bd St Germain, où ne restaient plus que des représentants de la presse. Auraient-ils quitté les lieux que rien ne se produisait. Jusqu’au moment où un officier commandant une compagnie d’intervention gueulait à sa troupe : « Bon, maintenant, les journalistes ! » Et gare à celui qui n’était pas assez leste malgré le port du brassard. Car je rappelle à l’occasion que les journalistes porteurs de cartes professionnelles (ils ne sont pas obligés de l’avoir, c’est vrai) peuvent aussi se voir délivrer un brassard qui aide à les identifier. Ce qui ne sert pas à grand - chose dans le genre de situation rappelée ci-dessus… sauf à les désigner comme cible de flics bouffeurs de journaleux… Qu’on évite en tout cas d’imaginer que je vais me faire le défenseur mordicus des policiers qui dérapent et de leurs chefs qui font n’importe quoi : mon commentaire à un blog récent d’Edwy Plenel atteste du contraire. Mes écrits habituels aussi (info.agencedepresse-credo.fr).
Manipulation des autorités
Beaucoup de ces témoins décrivent 300 à 400 casseurs prêts à en découdre, des manifestants (pas trop « pacifistes ») jetant des projectiles sur les CRS, ou d’autres des bombes agricoles sur les journalistes ; un autre évoque la présence de membres des Blacks Blocs qui, en plus des flics, prennent pour cible les manifestants… Partant, que ceux qui commentent ces évènements sans aucun recule, posent les bonnes questions, les seules qui vaillent : comment les autorités n’anticipent-elles pas la présence de ces énergumènes comme elles l’avaient fait lors de la COP 21 ? Ces jours-là, la Préfecture savait à l’avance que les BB viendraient et que leur principal objectif serait de « bouffer du flic ». Et rien (ou presque) ne se passa. Quant à isoler les fauteurs de troubles des manifestants pacifistes, on lit avec intérêt qu’un autre témoin décrit comment les violents, lors des charges, se fondent dans les rangs des cortèges… Ajoutons que c’est aussi le rôle des services d’ordre des manifs (à condition qu’ils existent et qu’ils soient efficaces) que de pratiquer cet isolement. Mais là encore, un autre témoignage nous apprend que s’ils s’y essaient, les BB se retournent contre eux.
Encadrés ou pas ?
Enfin, il semble que beaucoup de participants à ces mouvements refusent justement d’être encadrés. Dès lors, il faut choisir : manifester en prenant le maximum de précautions afin de ne pas être débordés par les éléments violents ou s’égayer dans Paris dans un joyeux bordel qui – malheureusement – peut tourner vinaigre. En tout état de cause, la première des solutions aura pour principal intérêt de démonter avec le maximum d’efficacité les violences policières incontestables, les manips des autorités politiques et administratives voire judiciaires, les erreurs et fautes de commandement à tous les niveaux. Et visiblement, il y en a eu !
Alain Hamon grand reporter spécialiste des problèmes de police depuis… 43 ans