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Billet de blog 13 décembre 2023

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Affaire Mathias Vicherat, le paradigme de « l’agresseur féministe »

En me réveillant lundi 4 décembre, je découvre mon Instagram inondé de messages partageant cette nouvelle choquante : le Directeur de Sciences Po est en garde à vue, accusé de violences conjugales. Alors que je parcours les articles, apparaît un sentiment d'indignation d’une nature légèrement différente : le paradigme de « l’agresseur féministe ».

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En me réveillant lundi 4 décembre, je découvre mon Instagram inondé de messages partageant cette nouvelle choquante : le Directeur de Sciences Po, Mathias Vicherat, est en garde à vue dans le 7e arrondissement de Paris, accusé de violences conjugales.

Il y a deux ans, Mathias Vicherat avait remplacé Frédéric Mion, démissionnaire pour avoir couvert des soupçons d'inceste à l'encontre du politologue Olivier Duhamel.

En tant que Directeur de Sciences Po, Mathias Vicherat est à la tête d'une institution qui promeut des valeurs d'égalité entre les sexes. Pour ces deux raisons - et bien d'autres - Vicherat doit faire face à l'indignation du corps étudiant de Sciences Po et de la presse. Cependant, alors que je parcours les articles, apparaît un sentiment d'indignation d’une nature légèrement différente.

Au-delà de son rôle à la tête de la prestigieuse institution, Vicherat est aussi un homme. Un homme éduqué, versé dans la théorie politique et sociologique. Un homme socialement perçu comme « féministe ». Et pourtant, en même temps, un homme qui perpétue des violences liées au genre.

Ce n'est malheureusement pas la première fois que je suis confrontée à ce paradoxe.  Comme le soutient compagne de Vicherat, j'ai moi aussi été agressée par un homme dit « féministe ». Aujourd'hui, je me reconstruis après avoir été agressée sexuellement par un étudiant de Sciences Po qui, tout comme Vicherat, est connu, à son niveau, comme un individu progressiste, politiquement actif et féministe.

Mon malaise ce jour-là résulte de la douleur et de la colère d’être, une nouvelle fois, témoin de l’histoire de « l’agresseur féministe ». Ma révolte résulte de la lourde tâche de ma propre reconstruction face à une contradiction impossible et hypocrite : d'un côté, l’éducation et la déconstruction proclamée des questions de genre ; de l'autre, le comportement du Directeur de ma prestigieuse université et de mon violeur.

Sciences Po est considéré comme le summum de l'enseignement des sciences sociales en France. On y trouve non seulement un vivier de conversations intellectuelles, mais aussi un environnement qui promeut des valeurs progressistes.

Ces connaissances théoriques approfondies, la participation à un environnement politique actif, en particulier en ce qui concerne l’égalité des sexes, ainsi que l’engagement ardent en faveur de la justice devraient être incompatibles avec toute violence fondée sur le genre.

En effet, il est communément admis que la sensibilisation et l'éducation aux questions systémiques constituent une première étape fondamentale dans le démantèlement de ces questions dominantes. Cependant, mon expérience personnelle, aggravée par les allégations à l’encontre de Vicherat, met crûment en évidence les lacunes critiques de ce paradigme.

L'existence de ce fossé révèle deux choses. Premièrement, que les systèmes, d'oppression tels que le patriciat,ont des racines profondes et ne peuvent être aisément démantelés, même lorsque l'éducation et des apparences progressistes entrent en jeu. Deuxièmement, que les engagements performatifs en faveur du féminisme pour sauver les apparences ne sont qu'une façade couvrant des tendances patriarcales non réglées, en particulier dans des bulles progressistes telles que Sciences Po.

Cette façade finira par s'effondrer et toute confiance antérieure dans des environnements apparemment sûrs disparaîtra, forçant le scepticisme à l'égard d’avancées progressistes en matière de violences liées au genre.

En tant que victime recevant ces messages contradictoires, le processus de reconstruction est empli de doutes.

En tant que victime et étudiante dans une institution dirigée par quelqu'un qui partage de telles dissonances avec mon violeur, ce doute ne cesse de croître.

Une fois de plus, le cas de l’« agresseur féministe » met en évidence la nécessité de faire confiance aux victimes et de condamner les agresseurs hypocrites, afin de mener un combat plus authentique en défendant les valeurs que nous prétendons partager.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.