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Billet de blog 4 juillet 2014

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La main sur le coeur de Sarko-la-victime

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ou comment Sarkozy continue d'être l'incarnation parfaite, c'est à dire caricaturale, de la scénographie du pouvoir,  et pourquoi nous continuons de quémander que des aventuriers continuent de nous infliger ces mauvais spectacles, écrits par eux, à leur unique bénéfice et qui ne signifient que notre propre asservissement.

Sarkozy, la main sur le cœur. Si vous tapez cette phrase sur un moteur de recherche et que vous faites une recherche par image, ce qui apparaît ce sont des photos de Sarkozy, toujours légèrement désaxé, ou penché en avant, en tout cas jamais droit, avec la main sur le cœur. Avoir la main sur le cœur suppose pourtant une droiture, un élan presque spirituel serait-on tenté de dire, une élévation, une densité, un engagement, qui ne sont pas précisément ce qu'exprime le personnage. 

Avoir la main sur le cœur signifie, ne pas compter sa générosité, être profus et ne pas hésiter longtemps à donner.

Ce geste chez Sarkozy peut évidemment surprendre de la part de quelqu'un qui se montre plus dispendieux des deniers des autres que de tout autre chose : compliments, affection authentique, chaleur sans réserve sont tout de même ce qui caractérise le moins bien le personnage. Au contraire, les humiliations publiques de fonctionnaires ou de quidams, les lèvres serrées, ou les plis de la bouche qui s'étirent vers le bas - morgue, suffisance, mépris - sarcasme, doigt pointé... Le personnage n'est qu'autorité, bile et si souvent ... méchanceté.

Sa défense dans l'affaire du financement de sa campagne de 2012, est parfaitement cohérente avec ça. La victime Sarkozy est évidemment le pendant symétrique du persécuteur d'hier, qui était en même temps le sauveur d'hier, d'une France à tremolos - éternelle et conquérante.

Les psychologues et formateurs connaissent bien le triangle de Karpmann. Incarner les rôles de Victime, Persécuteur et Sauveur permettent aux individus engagés dans une relation de "se tenir" émotionnellement, c'est à dire d'obliger l'autre à jouer à un jeu émotionnel ou ce qu'il y a à gagner c'est de l'affection, du pouvoir. Dans tous les cas de l'emprise. C'est également par excellence, le jeu des politiciens : dramatiser la relation politicien-électeurs/citoyens en la plaçant sur le terrain sentimental au moyen de règles du jeu édictées de façon unilatérale, de manière que la raison n'intervienne pas mais qu'une pression s'exerce sur l'autre. Pression dont l'objectif est de l'empêcher de sortir du jeu et donc de maintenir cette économie relationnelle aussi longtemps que possible. Economie dont les deux parties se nourrissent en se faisant contre-chanter mutuellement. Il y a un bénéfice à être victime autant qu'à être persécuteur.

Persécuteur : j'ai donné l'ordre à la police de n'avoir aucune tolérance envers  blablabla. Passer la dalle d'Argenteuil au Kärcher. Faire la guerre (au choix) à l'incivilité, au terrorisme, aux crottes de chien... « La nationalité française doit pouvoir être retirée à toute personne d'origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d'un fonctionnaire de police". (Discours de Grenoble).

Sauveur  : «Le colonisateur a pris, mais il a aussi donné .... Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles» (l'infâme Discours de Dakar).

Victime : « nous subissons les conséquences de 50 années d'immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l'intégration. » (Discours de Grenoble) C'est à dire que vous et moi, ma bonne dame on est des victimes (je parle en sarkolangue, là). C'est pas d'vot' faute c'est les étrangers et les irresponsables d'avant... le discours victimaire permet bien sûr de réamorcer le discours persécuteur, puisqu'il va bien falloir sévir si on veut sauver la France.

En creux que dit chaque posture, qui correspond à une stratégie manipulatoire spécifique ? Persécuteur : je sous-entends que "je suis droit" (ça me fait plus de mal à moi qu'à toi de devoir te punir, mais on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs). Sauveur : "Je suis bon". Sur ce thème le discours de Dakar est à encadrer au musée du paternalisme et de la manipulation affective. L'attitude du sauveur, oscille physiquement entre l'humilité spectaculaire, où l'on montre bien son effacement, et la condescendance la plus abjecte. Toutes vertus de curé.

Enfin, la victime sous-entend par son discours et son comportement : "je suis irréprochable". Sur la toile de fond morale judéo-chrétienne savamment entretenue et franchement revendiquée par Sarkozy et ses conseillers, la position de victime permet d'induire l'idée de l'innocence. La notion-même de victime signifie l'innocence.

Alors pourquoi revenir ad nauseam sur les aventures de l'individu Sarkozy, un temps ci-devant président de la république ? Pour deux raisons. La première parce qu'il est une incarnation parfaite, c'est à dire caricaturale, de la scénographie du pouvoir en politique et de notre relation à celui-ci.

Les ficelles grossières des vecteurs de la manipulation : trémendisme, appel aux vertus ancestrales, au sol et à l'Histoire, émotion, raisonnement de café du commerce pour faire peuple, sarcasme, haussement du col pour en remontrer aux méchants casseurs, racaille, patrons voyous et autres terroristes, la mise en scène enfin de la fragilité, "je me suis trompé", pour parachever l'identification avec les vrais gens. Bref tout ça a été dit mille fois.

Mais ce qui n'est pas dit mille fois c'est : le mécanisme de la manipulation, si simple et si bien connu, qui revient à une captation de toute l'attention de l'autre (nous en l'occurrence) en s'imposant brutalement soi (le politicien en l'occurrence) et en nous forçant à un jeu qu'on n'a pas demandé au moyen de règles du jeu par nous déconnues, pour un bénéfice névrotique qui ne nous concerne pas. Tout ça donc, nous continuons d'y souscrire. Nous trouvons encore normal que des politiciens professionnels formés dans des écoles faites par eux, pour eux, non seulement nous prennent à témoin qu'ils sont des victimes, et en attendent notre compassion, mais encore, une fois au pouvoir trouvent à nous reprocher à nous les causes des échecs économico-socio-moraux de la vie publique, et à nous taper sur la gueule.

Et ça, pardon, mais c’est quand même encore un sujet d’étonnement. Alors que nous savons bien « qu’ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux »1, nous continuons d’élire. Nous continuons de souscrire à ce jeu lamentable de la captation de notre puissance – capacité de décider, de penser, de discuter pour agir par nos propres forces -  par des aventuriers. Qu’ils se présentent bonaces ou vengeurs, sénatoriaux ou gestionnaires, populaciers et racistes ou amis du peuple et jacobins, ce sont des aventuriers. Dans le plus mauvais sens du terme.

Et il semblerait que face à cette caricature, pourtant si évidente, si grossière qu'elle met mal à l'aise, nous soyons incapables d'en retirer une conclusion radicale. Sarkozy, la main sur le cœur, aurait tapé dans la caisse, se serait fait rembourser indûment, aurait fait financer sa première campagne par une future victime de la force de frappe française – bien pratique cette petite guerre en Libye2. Ce pourfendeur de racaille, ce faiseur de lois-déjà-existantes, fort avec les faibles et faible avec les forts, aurait fait dépenser des sommes  pharaoniques à son parti, que celui-ci aurait partiellement alimenté d'un autre côté grâce à Bygmalion, bref ce type qui en 2 ans de présidence avait déjà occasionné 600000 gardes à vue avec sa politique de quotas, continue de tirer des ficelles toutes plus grosses les unes que les autres. 

MAis en rien différent des autres politiciens professionnels. Le torse bombé de Valls, la fausse humilité de Hollande, la constante indignation de Mélenchon, le sarcasme de la Marine habilement rythmé des contrepoints soi-disant incontrôlés du Borgne érigés en système rhétorique... nous continuons d'aller aux urnes pour ça.

Parce que dans le triangle de la dramatisation, il faut être deux à jouer à Victime/persécuteur/sauveur - l'un et l'autre. Dans ce cas précis, c'est l'Etat, ou le président ou qui on veut représentant le pouvoir, et l'autre c'est le peuple, ou le contribuable, ou la ménagère de 50 ans, ou qui on veut qui incarne le "nous". Il faut être deux et l'un et l'autre se tiennent, et font tourner les rôles. Quand je veux jouer la victime, j'attends un sauveur, providentiel, mâle et tonitruant. Tout comme le persécuteur a besoin de sa victime qui le lui fait payer et qui l'alimente, jusqu'à ce que la victime puisse être momentanément en position de persécuteur et se venge – haro sur le baudet.

Il est du plus haut comique de voir l'Ex se poser en victime de la justice qu'il a si mal traité pendant cinq ans ; mais que les Courroye et consorts mis en place par Sarko ont si mal servi à leur tour en entretenant la confusion entre le juridique et l'exécutif. Oui la justice et la police de ce pays se sont aussi soumis pendant cinq ans à un ordre sécuritaire sournois et brutal.

Donc l'étonnant, c'est que ce spectacle dégueulasse et si mal joué du pouvoir et des contraintes schizophrènes dans lesquelles il nous met, ne nous fasse pas réagir plus que ça, ne  nous fasse  pas décider de cesser de jouer. L’étonnant c’est que nous n’ayons pas envie de nous guérir de ces contraintes qui nous ont rendu fous.

La démocratie de marché et sa pseudo-représentation non seulement ne nous ont pas émancipé, mais au contraire nous poursuivent jusque dans le plus petit recoin d’humanité, d’autonomie, qui nous reste, le capitalisme poursuivant la fabrication de valeur jusque dans la plus petite « niche » identifiable. Elles ne nous ont pas émancipé, mais au contraire tiennent toujours en réserve le persécuteur, derrière son sauveur. Le fascisme, doublure nécessaire du capitalisme, occasionnera au bénéfice de ce dernier le conflit qu’il faudra pour résoudre la crise sociale et politique actuelle. Actuelle et quasiment mondiale.

(Néo-libéralisme et crise, voir ce texte : http://www.grand-angle-libertaire.net/geneses-du-neoliberalisme-par-frederic-lebaron/ )

 Donc oui il est toujours aussi impressionnant que dans ce jeu de racket mutuel, la victime continue d’espérer que le persécuteur-sauveur la remarquera enfin, répondra à ses attentes et satisfera ses besoins réels et concrets. Que la victime – le peuple, les électeurs – continue de provoquer ce moment fugace où les politiques lui font les yeux doux, lui parlent et la cajolent pendant 3 mois tous les cinq ans, ça oui c’est consternant. Ces trois mois de reconnaissance pour 5 ans de souffrance… Comme un chat qui se frotte à la jambe de son maître, on quémande la caresse.

C’est consternant et prouve bien que l’émancipation vient de l’intérieur et non de l’extérieur. Que l’émancipation n’est pas donné par un sauveur, sinon c’est encore du racket affectif. Pas plus qu’elle ne peut être réclamée, demandée. Sinon, c’est encore du racket affectif.

L’émancipation vient du dedans des personnes et s’obtient par les personnes. Oui je sais, quelque part dans l'oreille interne résonne la fameuse phrase de Marx. Ben oui.

« Mais il faut bien un chef ! » s’indigne l’honnête homme.

Non.

En fait non :

Tout est visible, et le grand mérite de Sarkozy c’est d’avoir rendu limpide le foutage de gueule décomplexé, le jeu de scène du pouvoir, la pauvreté du scénario avant-pendant-après le pouvoir. Et surtout son mérite, bien malgré lui, est d’avoir montré, par une incapacité à contrôler sa physionomie, son débit, son ton, par son mépris viscéral de ce que peut bien penser son vis à vis, tout le soubassement psychologique à l’œuvre dans la manipulation et l’économie du jeu des politiques.

Se dévoilant, il les dévoile tous.

Il faut bien un chef ? Un chef qui dépend si entièrement de sa soif de reconnaissance que nous lui donnons pour se sentir exister ? Qui a vraiment besoin d’autant de millions de thuriféraires ? Dont toute la vie s’organise pour obtenir que s’actualisent ces moments où les regards montent vers lui, où les honneurs pleuvent sur lui, où des signes continus de la réalité du pouvoir parviennent à ces sens (vaisselle de vermeil, dorures et voitures de fonction, protocole) ? Un chef, si intoxiqué de ces marques de reconnaissance, qu’il lui faut tout faire pour continuer d’y baigner ? Tout faire ?

Le triangle du drame montre la tristesse des jeux auxquels nous jouons toute la journée avec conjoints, enfants, patrons et collègues. Il montre aussi que cette pauvre économie qui rend fou – réellement – est le moteur et la structure de la relation politique au niveau méta-personnel. Or dans les deux cas, « l’enjeu du jeu » est toujours le même : amour (reconnaissance) et pouvoir, les deux étant évidemment coextensifs l’un de l’autre. Nous sommes prêts à tout sacrifier pour avoir de l’amour et des signes d’amour. Ou des signes de notre importance personnelle. Voilà ce que nous cautionnons par notre contre-jeu psychologique, si avides sommes-nous de reconnaissance aussi.

Et l’excuse selon laquelle ils nous faut des chefs car ils sont compétents ne tient pas plus debout. Les politiciens seraient spécifiquement formés à la gestion et donc des professionnels seuls aptes à gérer les affaires publiques ? Le quotidien assène un démenti cinglant à ce fantasme. Ils sont parfaitement incapables de juguler les forces planétaires de l’économie planétaire et des tensions planétaires. Nul homme ne le peut.

La seule manière de sortir du jeu mortifère du triangle du drame c’est de cesser de jouer. Ne pas attendre de bénéfice secondaire des relations humaines mais gérer nos affaires nous-mêmes. Aux niveaux où nous pouvons les gérer.

Cesser de jouer.

Et interdire aux mauvais acteurs de nous dire quoi faire.

Cesser de jouer.

Cuervo

 1. Etienne de la Boëtie, Discours de la servitude volontaire

2. - Il s'agit des affaires pour lesquelles il y a des examens en cours : je conserve donc raisonnablement le conditionnel en attendant que la justice rende verdict

PS. On pourra explorer quelques notions telles que démocratie, émancipation, ici : http://www.grand-angle-libertaire.net/nos-pretendues-democraties-en-questions-libertaires-philippe-corcuff/

Pour aller plus loin on peut aller ici : http://conversations.grand-angle-libertaire.net/etape-seminaire-7/

Et puis tiens, ce chouette texte de Gilles Châtelet sur Marcuse. Ça vaut quand même Stéphane Hessel : http://www.monde-diplomatique.fr/1998/08/CHATELET/3963

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