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Billet de blog 11 septembre 2014

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Valérie, où sont les neiges d'antan ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est Brassens, peut-être, qui a donné un nom et une atmosphère, une émotion, à l’idée d’une certaine femme.

Je n’ai pas dit une certaine idée de la Femme. Je dis l’idée d’une certaine femme. Une femme du peuple, tantôt effrontée, tantôt timide, paysanne, ouvrière, dont on peut imaginer les talons qui claquent sur les marches du métro parisien tandis qu’elle se presse pour aller au bureau, ou penchée au cou de son amoureux au café …

Oui il a chanté les prostituées aussi, et certaines bourgeoises, forcément fâcheuses… mais sa préférence et toute sa tendresse allaient à une femme réelle, de chair, parfois de peine, mais toujours véritable, et idéale parce que réelle.

On pourrait dire évidemment que La Femme au singulier est déjà un aveu de sexisme, ou pis, de romantisme. Cela dit, on s’entend dire tant de reproches sans épaisseur sur les réseaux sociaux que ça n’est pas bien grave.

Ce qui l’est davantage, et c’est mon propos,  c’est : à quelle femme s’adresse l’épisode Trierweiler ? On ne manque pas de parler de la vengeance d’une femme flouée, ou humiliée, etc. Mais est-il humainement possible de s’identifier à cette Madame Trierweiler, à qui la gloire de quelques mois a donné, comme aux très grands, un prénom ?

Les journaux bruissent et les machines à café, dans les bureaux, tintent des avis des un(e)s et des autres : « elle lui a pas envoyé dire », « elle s’est fait plaquer, elle lui renvoie la monnaie de sa pièce… », ou bien au contraire « non c’est indigne », « ça ne nous regarde pas », ou bien « ça ne se fait pas cet étalage en public ».

Pour moi je repose ma question : à quelle femme s’adresse le foin autour du livre de Valérie Trierweiler ?

Pourquoi cette question ? Parce que tout, tout depuis la publication du livre, son contenu où les secrets intimes soi-disant opposent la femme Valérie à l’homme François, et encore la rhétorique et les positions médiatiques autour de cette grotesque pantalonnade, tout dit que la lecture et l’analyse doivent se faire depuis la position d’une femme éconduite, et qu’on doive se positionner selon ce point de vue-là.

Pour la troisième fois je repose la question de savoir, en quoi Suzon, Margot, ou Hélène, ou bien encore les dames du temps jadis que Brassens avait reprises à Villon – intellectuelles et rebelles de haute volée, reines et politiques, héroïnes prêtes au sacrifice – devraient se sentir concernées par cet épisode qui pourtant les pointe comme « cibles » (comme on dit en marketing)?

En quoi peut-on se sentir concerné par la vie de ces gens ? De ceux-là qui peuvent être reçus par un éditeur à qui les épisodes tristes mais banals d’une vie somme toute pareille à celle de Suzon, feront gagner de l’argent ? Utiliser la plateforme d’un journal national pour faire la publicité de leur vie à la quotidienneté à peine vernie ? En quoi est-on concerné ?

Je veux dire : voilà des gens que les trajectoires mûrement ourdies par leurs familles bourgeoises ont destiné  à pouvoir user et abuser des ressources publiques, pouvoir coudoyer la presse,  poser pour les caméras, s’envoler à bord de jets. Des gens surtout, surtout, qui vont pouvoir convoquer tout un appareillage incroyablement lourd et complexe, incroyablement coûteux, pour… se venger ? Se venger.

C’est du niveau de la cour d’école.

D’accord tous et toutes nous avons rêvé de damer le pion, de rendre la pareille, d’humilier, de laver l’affront etc. Tous et toutes. Mais tous et toutes nous avons ravalé nos larmes, notre humiliation. Et la décence, telle qu’elle nous a été transmise par nos mamans et nos papas, les mêmes que ceux des Fanchon, Suzon, Margot, ou leurs équivalents masculins, nous a fait passer à autre chose.

C’est l’indécence de ces gens qui est infernale car, penser même qu’on pourrait, qu’on devrait se sentir concerné par la lamentable histoire de François et Valérie, c’est déjà se foutre du pauvre monde. Qui sont-ils ces gens-là pour penser que ça nous intéresse les coucheries présidentielles, qui peut croire longtemps entre sa feuille d’impôt, le loyer qui tombe, la retenue sur salaire, ou simplement la fatigue, que ça nous concerne ? Comment peut-on infliger, forcer, imposer ces histoires minables à tout un pays ? Quel mépris gouverne ces gens ? Quel mépris les gouverne qui se font encore de l’argent vite fait, bien fait, parfaitement conscient que l’œuvre est à Chateaubriand ce que Détective est au Herald Tribune. Allez, trois petits tours et puis s’en vont. On fait un « joli coup » éditorial avec avant-propos dans Paris Match. Pour qui se prennent-ils ?

Finalement, on le fait parce qu’on peut le faire, et ce que l’immense majorité a appris à considérer comme l’une des choses de la vie qu’il faut affronter, puis surmonter, puis dépasser – vexation, tromperie, mensonge – ces gens-là ne l’affrontent pas, ne le surmontent pas, ne le dépassent pas, mais s’y complaisent et nous forcent à ce spectacle sans intérêt de leur mesquinerie. Ils se complaisent à succomber à ce que Suzon, et Margot, Hélène enseignent à leurs enfants comme dégradant. On nous apprend les vertus de la dignité, celles de la tête haute dans l’adversité, celles de faire contre mauvaise fortune, bon cœur, ou simplement de serrer les dents.

Mais voilà, cet appareillage, ce dispositif je l’ai à disposition et il ne s’use que si je ne m’en sers pas. Au surplus, sans doute que manquer de m’en servir ce serait priver quelques petits camarades de juteuses retombées aussi.

Un article court du Monde des livres d’aujourd’hui fait état de libraires qui refusent de vendre le livre de Valérie Trierweiler, et certains s’en offusquent, criant à la censure. Ce qui offusque bien plutôt ces libraires vertueux c’est justement le contraire de la censure. C’est la possibilité pour d’aucuns et d’aucunes de passer outre – non pas la censure – mais l’avis critique, le discernement et je le répète, la décence, pour infliger leurs petites vies. Ces libraires sont vertueux parce qu’ils se sont dit « ça n’est pas parce que ça rapporterait de l’argent que je dois le mettre en rayon.  Je ne mets pas sur le même pied Queneau, l’autobiographie de Victor Serge, le dernier Jean Bernard Pouy, d’un côté, et de l’autre la vie de V. Trierweiler, un temps petite amie du président Hollande. » Ils ont raison il n’y a pas que le manque à gagner dans la vie, et on continuera de vendre Les fleurs bleues dans 50 ans.

Il faut ne pas en être pour parler de « classes populaires ». Il faut ne pas en être ou l’avoir oublié pour nous parler comme ça. Nous parler comme si nous n’étions pas là. Faire en dépit de et à côté de. Et pour ne pas comprendre que ce sont bien dans ces classes-ci que fument les très grosses colères. Que lorsque vous nous aurez tant pris de notre énergie à coups d’émissions soporifiques, de boulot assommant, d’austérité, de livres insanes, et tant rendu sous forme de mépris ; tant capté de dignité et de confiance et tant jeté à la gueule de notre impuissance et de votre arrogance, de votre médiocrité ; lorsque vous nous aurez tant pris, ce sera sur ces petites choses apparemment insignifiantes que le Faubourg St Antoine se remplira du joli cliquètement de jolis talons d’employées de bureaux , de ballerines des serveuses, de Docs de punkette qui traînent un peu, de Nike de beurette qui en ont ras le bol d’être regardées de haut, et d’escarpins ordinaires. Elles seront avec leurs mecs, leurs copains et leurs maris, et comme ça sera jour de fête, on poussera des poussettes jusqu’au mitan de la Bastille. Il sera temps pour les Valérie et les Cécilia de prendre un jet. Pour la Suisse par exemple.

Pour conclure : ces femmes de Brassens, ma mère, ma fille, ma bonne amie, mes camarades militantes, les copines, mes collègues, mes ex… non seulement elles n’ont pas accès aux cuisines de l’Elysée, aux salles de rédaction de Match, ni aux ors de la République, mais encore ont-elles été élevées à trouver médiocre, indécent, inutile cette débauche de moyens qui revient à vomir sa bile parce qu’on en a … les moyens.

Elles ont été élevées et élèvent leurs enfants à prouver que la décence, la dignité, la retenue autant que la passion et la sincérité sont notre seul viatique.

Elles ont été élevées comme ça et elles élèvent leurs gosses comme ça, et quand elles offrent leur visage à la caméra des vacances, des repas de famille, elles ne lui réservent pas, comme V Trierweiler un maigre sourire retenu et froidureux, mais un franc sourire … de toutes leurs dents !

Vidal

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