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Billet de blog 5 avril 2017

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Pourquoi les larmes de l'homme devant les peintures de Lascaux?

Un texte que nous a envoyé Jean-Jacques Vanier après avoir assisté à la journée du 29 mars Travail et Culture.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 16 septembre 1940 Léon Laval assiste au spectacle le plus émouvant de sa vie. Quatre ados l’emmènent dans une grotte à Lascaux pour partager leur découverte.

Léon Laval s’est figé. Il est immobile. Il s’est tu. Des larmes venues de la nuit des temps envahissent son corps à la recherche d’une sortie et la trouvent au bord de ses yeux.

Sans que les enfants le remarquent Léon pleure toutes les larmes de son corps, il ruisselle, il déferle, il est devant les murs de la grotte de Lascaux et sa lampe éclaire le dessin d’un cheval déposé là il y a longtemps, il ne sait pas combien,  très longtemps encore plus longtemps que ça se dit-il. Léon découvre des centaines de dessins, de peintures, de chevaux, de bisons, de cerf tracés sur la roche. Léon Laval fait silence, des hommes lui ont laissé une trace de leur vie, un témoignage de leurs efforts, une preuve de leur existence. Témoin de son temps, un homme, un artiste, s’est exprimé là, librement il y a 17 000 ans. Léon pleure comme tous les hommes pleurent aujourd’hui dans le silence des grottes pariétales, le geste rupestre agit sur eux comme un miroir face à la confiscation de notre liberté d’expression.  C’est si simple pourtant de s’exprimer pour l’homme préhistorique.

 Pourquoi les larmes de l’homme devant ces peintures ? Parce que ce qui fait sens à sa vie c’est l’expression et parce que ce qui fait aujourd’hui défaut à sa vie c’est l’expression. Etre soi même et être capable de l’exprimer ce n’est pas donné à tout le monde, ce n’est donné à personne, c’est une lutte, c’est un combat, une victoire sur soi même et sur sa vie.

 La confiscation de cette libre expression est transgénérationnelle, culturelle, sociale, transmise, acquise à la naissance, enseignée même parfois dans les milieux les moins favorisés, elle est le talon d’Achille d’une classe qui accepte sa soumission, à qui on a appris à  ne pas broncher. La paralysie de l’expression de son moi propre, de son moi profond est une blessure insondable, un malheur abyssal, un cercle vicieux cruel qui rend les hommes de plus en plus silencieux eux qui rêveraient parler, palabrer, échanger, discuter.  Dans le désordre il manque l’habitude de le faire, la pratique, un lieu pour le faire, un moment peut être, la permission aussi.

 Au sein de l’entreprise le syndicat est là pour ça, c’est ce que le salarié va chercher en cas de besoin, en cas d’urgence, de nécessaire nécessité, un représentant,  quelqu’un qui parlera à sa place, quelqu’un qui parle pour lui, quelqu’un pour palier à son handicap, son manque d’habitude, sa peur, ses complexes, quelqu’un qui dira plus facilement que lui.  Sans identifier réellement la chose, il vient chercher quelqu’un qui prendra la parole pour en vérité, la lui redonner, quelqu’un qui pourrait, in fine, rouvrir en lui les vannes de l’expression de soi, libérer cette simple capacité de dire qu’il pense, qu’il est, de vivre ce qu’il est, comme le faisaient avant lui, en êtres libres, ses ancêtres sur les parois des grottes de Lascaux.

 Et quand le musée du Louvre s’installe dans le bassin minier de Lens, qu’un ouvrier lance un : « C’est pas pour nous ça », ce que j’entends là, c’est une parole qui réclame l’inverse. Alors, il faut lui redonner Lascaux. Il faut faire entrer un tableau de ce Louvre dans son entreprise, dans son usine et donner à cet homme les clés de lecture de ce tableau et puis en faire entrer un autre et un autre et goûter à la peinture comme on apprend le vin : en buvant.

Alors oui ! Il faut faire entrer le théâtre dans son entreprise dans son usine, il faut qu’il s’en empare, qu’il s’empare d’un texte, qu’il le lise, qu’il le dise, qu’il l’apprenne et qu’il le joue avec ses tripes avec son âme pour s’assurer qu’il en a une, avec ce qu’il est LUI, qu’il devienne l’acteur et qu’il régale ses camarades en prime. Le spectacle d’un l’art en ce sens n’est pas plus important que sa pratique. Qui faisait le théâtre aux armées ? Les militaires eux-mêmes.

 Alors oui ! Il faut faire entrer l’art dans l’entreprise, la pratique de l’art, la peinture, le théâtre, la photographie, le cinéma ou autre comme outil d’expression, comme moyen d’affirmation de soi, comme une réappropriation de la parole confisquée. La parole n’est pas un privilège de classe. L’homme préhistorique a peint sur le mur de sa maison parce que personne ne l’en a empêché.

 Alors oui ! Tout ça doit se faire là, dans sa maison, dans l’entreprise, sur le lieu de travail avec des gens compétents pour encadrer les premiers pas qui conduiront cet homme au musée du Louvre, l’emmèneront au spectacle d’égal à égal et non pas de non exprimant à exprimant et cet homme pleurera longtemps encore devant les peintures de Lascaux.

 Et ce n’est pas suffisant. C’est bien d’aller chialer au musée, c’est bien d’aller chialer au théâtre, aller chialer à l’opéra c’est bien aussi mais CE N’EST QU’UN DEBUT.

 Il te faudra te battre encore pour gagner ta liberté d’être toi et  pour à ton tour un jour parvenir à faire rouler des larmes sur les joues de Léon Laval.

 Jean-Jacques Vanier

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