A quoi bon, me suis-je dit, relater cela ? A quoi bon ? Et puis je me suis décidé ; peut-être parce qu'il le fallait. Peut-être parce que ça me serait utile, à moi. Je ne sais. A chacun d'en juger.
Le titre, outre son rappel bourbon, peut inquiéter, telle n'est pas son intention. Il peut choquer, telle n'est pas son attente. Il peut révolter, ce serait plus utile. Parait-il démagogique, voire irresponsable ? Possible... L'époque l'est tellement...
Mais le titre importe peu. Il est venu comme le reste, un peu maussade. C'est l'air du temps.
Voici de quoi il s'agit.
Une association de défense des semences libres (cela peut paraître oiseux, mais ça ne l'est pas du tout, c'est même très sérieux), Kokopelli, a attiré mon attention il y a quelques semaines sur un vote qui se préparait au Parlement Européen, concernant le Règlement européen sur le commerce des semences. Ce Règlement risque de remettre en question nombre de libertés concernant la circulation, l'utilisation et la vente des semences. Pour plus de précisions, voir ici.
Kokopelli exhortant les lecteurs de son blog à envoyer des courriers aux députés amenés à voter, ou non, ce texte, je reprenais à mon compte, avec une certaine fainéantise, le courrier que l'association avait préparé (l'ayant bien entendu lu et approuvé) et l'envoyait à chacun des députés français concernés.
A vrai dire, je ne m'attendais pas à la moindre réponse ; mais j'espérais tout de même une réflexion, voire une réaction, tablant sur le fait que d'autres eussent pu envoyer de tels messages et ainsi sensibiliser nos élus.
Or, j'ai reçu une réponse. Et, peut-être l'aurez-vous deviné, elle émane de Marine le Pen.
Sans dévoiler le contenu précis de son message, il me semble possible d'en donner à grands traits l'orientation : Mme Le Pen reprend point par point les menaces liées à cette réglementation et s'y oppose : interdiction à terme pour les agriculteurs de réutiliser leur propres semences ; brevetabilité et commercialisation du vivant ; puissance exponentielle des groupes agro-alimentaires. Par surcroît, elle joint à son message le texte d'une question posée au Ministre français de l’agriculture par la Député Marion Maréchal-Le Pen, et la réponse apportée : une fois encore, la question témoigne d'une réelle connaissance du dossier, et d'une sensibilité aux conséquences humaines, sociologiques, politiques et économiques que peuvent avoir les décisions que l'Europe (et la France) s'apprêtent à prendre.
Cette sensibilité est-elle sincère, arguera-t-on ?
De même, celle affichée par la Député européenne n'est-elle pas feinte, insistera-t-on ?
Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Tout juste puis-je remarquer que le programme politique à tonalité néo-libérale du Front National paraît en contradiction avec ces interventions.
Cependant, une autre question demeure, et plus importante pour ce qui me concerne : comment se fait-il que seule Marine Le Pen, en personne ou bien par l'intermédiaire de son équipe, prenne le temps d'une réponse ? Et comment se fait-il que cette réponse soit pertinente, voire encourageante ?
Et d'autres question viennent : comment se fait-il que le réponse du Ministre soit lapidaire et montre un usage consommé de ce qu'on a coutume de nommer la langue de bois ? (C'est du moins ce qu'il m'a semblé, libre à chacun de vérifier : cette question se trouve publiée au JO le 25/09/2012 page 5187 et la réponse au JO le 16/10/2012 page 5717.) Comment se fait-il que je n'ai reçu aucune réponse d'autres élus, membres des Verts (Hélène Flautre, etc.) ou du Front de Gauche (Patrick Le Hyaric, certes substitut) ? (Je ne parle pas même des élus du PS, qui navigue à vue et a d'autres chats à fouetter, élus qui de toute manière sont sans doute tout-à-fait attachés à cette modification du Règlement, si d’aventure ils y pensent, comme le sont sans doute ceux de l'UMP.)
A ces questions, j'ai une réponse : à l'heure actuelle, où les stratégies des divers groupes sont d'une médiocrité terrifiante, seule celle du FN est digne de ce nom. Il semble être devenu l'unique parti d'opposition, dans un paysage où les Verts se trahissent un peu plus chaque jour, et le Front de Gauche se disloque, suite aux votes confirmant le positionnement auprès du PS pour les prochaines élections (que doit-on penser de cela ? Les membres du PC ne comprendront-ils jamais qu'en conservant quelques prébendes, illusion de pouvoir, ils perdent non seulement toute dignité, mais jusque l'existence ? C'est l'heure du grand soir, où tout s'éteint, et cette inquiétude tardive est sans utilité).
D'où l'interrogation finale : faut-il s'étonner que des électeurs de gauche, face à cette incurie, votent pour le Front National ? Si tout est à l'avenant, il y a fort à parier que nombre de français, dont la sensibilité n'est plus mâtinée de la réflexion nécessaire, des outils discursifs, ou de la rigueur intellectuelle, ou bien plus simplement dont la souffrance est trop grande et ne trouve nulle compassion, vont trouver dans le vote FN un exutoire, voire une réelle satisfaction. Qui n'a besoin de s'engager, de rechercher des solutions aux problèmes complexes qui se posent à l'humanité ? Je m'aperçois d'une part que les réponses données par ceux dont je suis proche se font automatiques, brouillonnes, voire contraires à ce que j'attends d'eux, et d'autre part que celles fournies par le FN, loin du verbiage idéologique d'autrefois, sont non seulement construites, mais efficaces et ouvrant des perspectives.
Prise de pouvoir ? Pas nécessairement dans les faits. Mais symbolique, c'est en œuvre.
C'est un jour maussade...