Faut-il du poète se moquer s'il demande
Est-ce ainsi que les hommes vivent, et voilà tout ?
Voire, lui faire savoir sans détour : qu'il attende !
Non, bien au contraire, promenons-le partout !
Demeurant en lointaine Afrique, par delà les mers
En contrées étranges, auxquelles peu accoutumé,
O lecteur vois, étonné, quels savoirs divers,
Quels odorants parfums j'en puis te faire humer.
Au Burundi compulsant du Travail le code
Lors des indépendances créé non sans fierté
- protecteur, complet comme lors le voulait la mode -
Par hommes et femmes tous épris de liberté,
En Tanzanie, au Rwanda, quoique de ces deux là
Sans connaître les lois encadrant le travail,
Mais en tout point comparables, ici comme là,
J'ai observation faite : les règles y défaillent !
Quoi ? Qu'entend mon oreille ? Mes yeux, qu'avez-vous vu ?
Qu'en France, pour pareille pagaille l'on vote ?
Dirigeants, députés, n'avez-vous donc prévu
Du peuple l'accablement ? Vrai, quelle idée sotte !
Il faut expliquer, par le menu vous narrer :
Les travailleurs de cette région où je vis
Selon leur statut sont plus ou moins empêtrés.
A peine arrivé c'est bien cela que je vis.
De tout : les uns saisonniers, d'autres informels,
A la tâche employés ; et parfois salariés,
Alors déclarés ; privé, public, pêle-mêle,
Mal payés et peu instruits, cela sans varier,
Cadres exceptés, bien sûr, et rares bourgeois
Qui forment le toit d'une société pérenne.
Mais voyons de plus près, et faisons notre choix :
Quelle situation chacun voudrait sienne ?
Ce tableau ainsi brossé, allons au théâtre.
Sachant de plus que d'emploi les offres sont rares
Mais la demande fort élevée, c'est saumâtre,
Imaginons de chacun doutes et espoirs,
Combats, violence, luttes du faible contre le fort.
Faisons, en l'attente d'y être vraiment,
Un instant nôtre, du travailleur, le triste sort
Triste ? Essayez donc, et voyez si je mens !
Serez-vous salarié d'une entreprise privée,
Mettons de service, un café en centre-ville ?
Quel qu'il soit, un emploi, n'espérez l'esquiver.
Chance, votre employeur est un brave homme, rien de vil.
(Oui, il en est de tels, et j'en puis témoigner.)
Rémunération convenable, à quoi il veille,
Ainsi qu'à ne pas abuser, ni trépigner.
Soyez heureux ! Voyez, tous n'en semblent pas dignes !
Car s'il n'est pas un chic type, ou bien malheureux,
(Sachez que cela tient à peu de chose, en somme)
S'il vous paye peu (c'est vrai, vous êtes onéreux),
Quand l'envie lui vient, selon cette faiblesse des hommes,
En voyant votre maigreur (sans cesse à geindre !)
Contraintes, tâches imprévues, maigre fricot,
Horaires à rallonge… Songez-vous à vous plaindre ?
C'est ainsi, dira-t-il, ou dehors illico !
Le plus souvent, raisonnable, vous abandonnez
- O délicat moment - devant l'alternative,
Sinon, vous appuyant sur le Code mentionné,
Engagez un procès, terrible âme rétive.
Soit l'homme, certes cynique mais point trop malhonnête,
Fera - bien sûr - durer le procès, mais à terme
Verse l'indemnité (si peu sensible en fait,
Pesée selon vos gains) ; et la porte se ferme.
Soit cet homme, de plus, ne se pare pas de vergogne,
Tremblez donc qu'il ne recoure à la corruption
Ou autre violence ; furieux, qu'il ne se renfrogne…
Vous envoie en prison, brutale interruption !
Et gardez-vous d'ignorer les incertitudes
D'une situation politique orageuse.
Plus elle sera précaire, et plus votre attitude
Vous fera risquer, sans prudence et courageuse…
A ce sombre tableau ne voudrais oublier
D'une plus fragile gent encore l'ajout :
Des dits gens de maison il reste à publier
La vie sans avenir, éléments de décor,
Nul contrat ni garantie, sinon la parole
De son employeur, bon ou mauvais, c'est selon.
Est-il bon, place enviée, et belle parabole,
Mais sinon, vie de cauchemar et sanglot long…
Bref aperçu. Paraît-il caricatural ?
Non point, croyez m'en. Il est plutôt à craindre
Qu'il dépeigne une réalité par trop banale
Triste couronne que l'on pourrait bientôt ceindre…
Au poète je réponds ainsi les hommes vivent,
Dont le sort dépend du bon vouloir d'un puissant.
Faut-il perdre ce que d'autres du regard suivent ?
Non, c'est un don aux quatre-vingt dix-neuf pour cent !