Le temps des assassins
J'ai été jeté sur les routes par une bande de truands sans vergogne.
Arraché à ma terre, la terre que je m'étais choisie, ma terre d'élection, j'ai été un parmi tant qui ont pris l'amer chemin de l'exil.
– Il ne faut rien cacher, rien celer. Rien... non ; bien sûr, garder pour soi les choses précieuses. Ou bien les livrer au travers du prisme – mais lequel ? – et s'en ouvrir aux dignes, aux humains, à ceux de l'espèce humaine... –
Le jour est arrivé, le matin où il a fallu tout quitter ; laisser de côté, en arrière, le chez-soi tant espéré, comme d'autres si nombreux qui ont pris avec moi la route et se sont éloignés.
– La faiblesse, avouer la faiblesse. Connaître, telle une condamnation, sa supériorité morale et faire face à l'abjection, sans cesse recommencée, hydre hideuse et convaincue de sa puissance, oh, jamais achevée, jamais néante, puissance des maux, arrogance inouïe des hommes sans nom, décadents, pervers, tellement pauvres, qui refusent à un peuple pris en otage le droit d'exister, de se choisir, de tracer son chemin. –
Pleurs ! Quoi d'autre ? C'est une forme de lutte. L’adversaire aux cent visages n'en a que faire, mais quoi ? Il faut lancer des cailloux, et pleurer aussi. Pleurer pour ceux qui lancent les cailloux, dont il semble que ce soit le seul destin, perdus dans l'immense désespoir.
Un peuple ! Tout un peuple ! Des centaines de milliers, des millions ! Dans les mains de dix ! Une dizaine. Mais habiles et retors comme mille diables. Répandant la terreur, crachant le feu, le venin des kalachs, argumentant sans cesse et sans vérité. La mauvaise foi. Face à quoi rien d'autre… rien ? Non, tout un peuple qui apprend à se lever. A faire face. Courageusement.
Et ceux qui partent, jetés sur les routes. Parce qu'ils n'ont pas appris autrement. Parce qu'ils ont peur, pour eux, pour leurs enfants, pour leurs parents. Parce qu'ils ont faim et soif. Parce qu'ils ne savent plus. Qui passent les frontières, comme ils peuvent, quand on ne les empêchent pas (car la fuite est de mauvaise presse). Ceux qui peuvent mal et ceux qui peuvent mieux. Ceux qui savent que l'argent manquera bientôt et qu'il faudra peut-être retourner dans la gueule de feu, la bouche d'ombre, mais qui partent tout de même. Ceux qui sont attendus, dehors, et qu'on appelle, dans la crainte.
Et parmi ceux-ci je suis, déchiré, coupé de moi-même.
Parmi ceux-ci désemparé, comme en errance, attente, espérant.
Un jour nouveau viendra.