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Billet de blog 6 août 2010

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La honte

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La honte. Il y a la colère, et la honte.

Bien sûr ce pourrait être le dégoût. Ou la tristesse. Mais non, la honte.

Honte d’une nationalité ? D’être français ? Ca parait un peu fort, un peu facile, et ainsi proclamé, ne laisse pas de paraître ridicule, exagéré, comme une pose. Et cependant, c’est bien cela ; comment l’exprimer d’une autre manière ?

Ce n’est pas la honte quasi métaphysique que décrit ce personnage de Bergman : « J'ai l'impression de vivre le rêve d'un autre. Que se passera-t-il quand cet autre se réveillera et aura honte ? » Elle est on ne peut plus terre à terre, ma honte. Politique. Attachée à la vie de la cité, tant qu’à la chose publique.

La colère d’abord, puis la honte.

Est-ce cela qu’a ressenti Hugo lors du Second Empire, et de l’avènement de la médiocrité ? Sans doute. Comme si être français, être l’héritier des révolutionnaires, être de ce peuple ivre de liberté jusqu’à l’hystérie, se couvrait soudain irrémédiablement d’un terrible voile d’ignominie.

Effaré, il a bien dû l’être, Hugo, horrifié, ulcéré. Honteux, ce n’est pas certain. Il y avait peut-être trop de colère pour laisser place à la honte.

En ce qui me concerne, la honte vient de submerger la colère. Sans doute la capacité de colère du grand homme fut-elle supérieure à la mienne.

Dans un petit pays d’Afrique, qui, tellement péniblement, tente de sortir de l’ornière, d’apprendre les réflexes démocratiques, le respect d’une société civile émergente, je suis un « ressortissant français » ; ce qu’on m’en avait toujours dit, c’était qu’il y avait lieu d’être fier ; malgré la tache infâme des colonies, malgré la trahison pétainiste, malgré les massacres divers, de Sétif ou de Madagascar, et bien d’autres, il y avait lieu, oui, de se réclamer aussi d’une tradition humaniste, révoltée, désireuse de justice, certes imparfaite, mais du moins démocrate et républicaine.

Voilà qui semble avoir pris fin.

Il y a, dans ces contrées post-coloniales, toutes les difficultés imaginables pour établir une justice sociale, lutter ensemble contre corruption et pauvreté, animer un débat contradictoire, se lever, face au monde violent, avec dignité. C’est un combat, c’est une lutte, dans lesquels s’engagent avec courage universitaires, cadres politiques, hommes et femmes d’affaires, mères et pères de famille, enfin, tant et tant d’inconnus ou reconnus, avec face à eux tant et tant de lâches, d’assassins, de corrupteurs…

Et voilà qu’au lieu de représenter l’exemple d’une justice, d’une fraternité, d’une dignité, un espoir en somme, le pays où je suis né, d’où je viens, fait étalage de ses bassesses et de ses ignominies.

Sont-ce bien les miens, ceux qui naguère naquirent sur cette terre qui est mienne et que j’affectionne tant, qui hier trompés élirent le commis de la couardise déguisée en courage, du lucre affublé du manteau de Jaurès, du mensonge affirmé vérité ? Trompés ? Vraiment trompés ? Voilà aujourd’hui l’horreur, l’indicible horreur dévoilée : s’ils furent trompés, pourquoi consentent-ils, courbés, aux turpitudes ? Pourquoi, selon les sondeurs patentés, approuvent-ils les méthodes imbéciles, inefficaces et profondément immorales d’un gouvernement brouillon et déliquescent ? Comment se fait-t-il qu’un écho favorable se sentît, alors que la fille de l’extrême le plus odieux, revendiquant ces postures terribles, en annonce de pires encore comme justes et légitimes ?

Tout ce que de loin je vois, j’entends, je lis, est effrayant. Il semble soudain qu’un grand silence vienne et couvre l’impensable.

Hommes et femmes de mon pays, a-t-on pu vous rendre bête ainsi ? Ou bien est-ce la faim qui vous empêche de penser ? L’appauvrissement auquel on vous condamne vous aveugle-t-il au point de ne pouvoir comprendre qu’il surgit de la même source que l’enrichissement abject de ceux qu’on vous cite en exemple, et que l’excrétion de ceux qu’on vous livre en pâture ? Faudra-t-il que vous soyez dévorés vous-mêmes, sentant les mâchoires se fermer sur votre cou, pour voir enfin ?

Voilà le temps où d’arborer la Légion d’Honneur on le perd ; il en est désormais le refus. Devrons-nous aller, pour cet honneur, jusqu’à désirer déchoir de la nationalité ? Certains, c’est bien connu, fors l’honneur, perdirent tout. O tempora, o mores ; nous sera-t-il donné, à nous, de perdre tout, et l’honneur ? De quel côté de la barrière faudra-t-il se tenir pour rester digne ? Du côté tranquille, nanti, sécurisé, des bons français dépouillés de fait et par choix de ce qui constitue leur citoyenneté, ou de celui des récusés, des réprouvés, qui l’auront perdue, qui s’en verront diminués, mais sont peut-être plus à même d’en user ? Ah, qu’on ne nous force pas à répondre avec une telle violence !

Quiconque lira ces lignes pourra leur reprocher leur innocuité, voire leur candeur ; quelle utilité à discourir quand le temps vient de l’action ! Oui, mais le discours peut être action ; celui-ci est un cri d’horreur, peut-être inoffensif, mais nécessaire ; tout comme les derniers mots terribles de Kurtz : l’horreur, l’horreur, qui décrivent si terriblement tant le monde qu’il a observé que celui qu’il a créé.

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