L’offensive israélienne terminée, que se passera-t-il lorsque les journalistes étrangers entreront dans l'enclave palestinienne? Quand sera venu le temps du bilan, à quels choix rédactionnels feront-ils face? Un long reportage, une double page ou bien un numéro spécial? De quelle façon illustreront-ils Gaza réduite en poussière, les hôpitaux, les écoles et les institutions soufflés par les bombes? A quoi et à qui consacreront-ils les pages Analyse et Portraits? Iront-ils interroger les gazouis dans les tentes de fortune ou bien dans les hôpitaux?
À ce jour, seule Clarissa Ward, reporter pour la chaîne américaine CNN, est entrée sans escorte le temps de quelques heures sur le territoire palestinien. Son reportage de six minutes décrit les conditions de vie à Gaza comme dépassant de loin tout ce qui s'est fait dans les guerres modernes en termes d'intensité et de férocité. Constater l’horreur, rapporter l’indicible, est-ce ce à quoi les journalistes doivent se préparer? Mais pourquoi pas maintenant à l’heure où déferlent les tirs et les bombardements?
Témoigner depuis le camp d'en face
L’après-Gaza soulève la question du récit que les journalistes ont développé à chaque fois que le conflit a occupé les tabloïds. L’histoire commence-t-elle le 7 octobre? Comment évoquer chaque événement présent en déroulant adéquatement le contexte historique de la région? Y a-t-il des pièces manquantes dans la narration médiatique qui auraient altérer la lecture des tenants et aboutissants et contribuer à prolonger ce conflit durant 75 ans?
Jamais, depuis l'assaut d'Israël à Gaza, le verbe n'a été aussi crucial dans le monde journalistique. D'un côté le poids des mots, "guerre" versus "agression militaire", "morts" versus "tués", "explosion" versus "bombardement", et de l'autre les mots qui sont tu, "occupation" et "apartheid" systématiquement noyés dans la news du jour. Mais de quelle façon les journalistes vont-ils absorber la vague des réseaux sociaux qui exposent ces thèmes à coup de hashtag et de vidéos tiktok? Les journalistes du monde occidental, les grands absents de Gaza, qui rapportent depuis la salle de conférence de l'armée israélienne, pourront-ils concevoir qu'ils sont à côté, sinon de l'autre côté, de l'histoire qui s'écrit?

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L’après-Gaza soulève plus que tout cette question. Bientôt cent jours d'assaut militaire et soixante-dix-neuf journalistes palestiniens assassinés depuis le début des attaques selon le CPJ, comment les professionnels des médias analysent-ils ce carnage de l’information? Comment une rédaction de journal peut-elle garantir à ses lecteurs une impartialité irréprochable si les journalistes locaux sont brutalement tués et qu’aucun correspondant étranger ne travaille sur place?
Pire, enfin, qu’est-ce qu’un après-Gaza pour le monde du journalisme face à ce qui glisse péniblement chaque jour vers un génocide du peuple palestinien? Que restera-t-il à dire pour les journalistes une fois le massacre terminé?