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Billet de blog 7 décembre 2009

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Une autre vie (nouvelle)

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UNE AUTRE VIE


.

Le Maître arrivait au terme de sa vie.
Déjà, le poids des ans avait courbé son dos et blanchi son poil.
Les douleurs de l'âge avaient meurtri son corps : les membres d'abord s'étaient raidis, le tirant souvent d'un maigre sommeil qui le laissait pantelant.
Puis il avait peu à peu perdu le goût à tout ce qui avait été le plaisir et le moteur même de son existence.

Puis les yeux, ces yeux indispensables, s'étaient opacifiés, ne lui laissant que des visions troubles, ombres fugitives, des esclaves qui entouraient de leurs soins attentifs ses derniers instants.
Le souffle court, les cils englués, il gisait sur sa couche, n'espérant plus d'Esculape et attendant Charon, s'interrogeant sur sa vie future et le devenir de son âme....
Il passa...
.
Il passa dans un purgatoire liquide et tiède, à la fois protecteur et inquiétant, sombre et étouffant. Il s'y lova et, ne pouvant rien envisager d'autre, entreprit de reprendre des forces et de laisser passer le temps...
Qui passa....
.
Le réveil fut rude. Expulsé de son cocon douillet, il ressentit les affres d'un air froid et cinglant, tout en étant exposé à un flot de clarté aveuglant. Il crut que ses poumons se déchiraient.
Il hurla de douleur et de désespoir, car il venait de comprendre!
Cette vie, sa deuxième vie, il devrait la passer dans la peau d'un de ces esclaves dont il avait toujours méprisé le sort.
Las, résigné déjà, il s'endormit. Du temps passa ...
.
Ses yeux s'ouvrirent enfin. Un cadre presque familier lui apparut : maison claire, élégants rideaux, meubles anciens, sièges recouverts de cuir patiné sur lesquels, naguère encore, il se plaisait.
Dans son panoramique, il croisa le regard énigmatique d'un Maître, voluptueusement installé sur un confortable sofa : lui savait, lui maîtrisait le monde.
Il te reste cinq vies, semblait-il lui dire avec une ironie à peine dissimulée dans le coin de sa moustache.
Le Maître fit un caprice en jugeant que cet air "trop sec" ne lui convenait plus. Sans paraître y attacher plus d'importance que cela n'en méritait, le Maître se lécha la patte, puis la passa négligemment derrière son oreille. Quelques gouttes d'eau firent aussitôt osciller les frêles tiges qui émergeaient du pot de fleur du balcon. Exaucé, il s'étira langoureusement et reprit une sieste bien méritée. Le maître déchu éclata en sanglots.
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"Serge, pourquoi le bébé pleure-t-il ? demanda la mère avec angoisse. Il n’y a pourtant aucune raison ! "

Camille © 1997

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