LE FABULEUX DESTIN DU PETIT AMIÉNOIS
De quel faiseur de rois, quel vendeur d’âme morte
De quel pauvre diable, quel suiveur de cohorte
De quel royaume créé, quelle contrée bannie
De quel pays connu, quelle époque bénie
De quel réel renié, de quelle île perdue
De quel néant nié, de quelle heure indue
De quel conte ou fable, quelle farce tragique,
De quel grand vent mauvais, quelle pensée magique
De quel rond-point fleuri, de quel lointain giratoire
De quelle officine, de quel laboratoire
De quel enfer, de quelle damnation
De quelle émanation, maculé conception,
De quel chou pollué, cette poupée gigogne
De quel bec malade, ce nourrisson cigogne,
De quelle basse-cour, de quel miteux chapeau
Ce lapin blanc crétin, étiré par la peau
Ce chien-loup de berger, rabatteur de troupeau
Énième Hamelin, ce joueur de pipeau,
Nous est-il envoyé ?
« Brav’gens, oyez oyez !! »
(La haine est obstacle qu’on n’ose tutoyer)
*
Il est né le divin enfant, a le trait fin
Il est niais ce devin, on le devine enfin,
Le nez en trompette, bien joufflu et imberbe,
Les yeux écarquillés, brasse l’air, hume herbe,
Et huile essentielle, poudre à perlimpinpin
Tout propret dans son lange, au langage poupin
Les dents rayées, le dos rond, les mots toujours creux
Intrigue et fascine les idiots, les curieux,
Se laissant envouter par un si joli minois
Ô fabuleux destin du petit amiénois
Prêts à applaudir quand il fait son beau rot,
À tirer ce nouveau - serait-ce un vrai robot ? -,
Pavant l’enfer, la rue, d’intention qu’on vous prête
Dedans une fabrique, un bébé éprouvette
Font d’un simple accident un prodigieux miracle
Font d’un boursicoteur un inédit oracle,
Et d’un drame font un heureux événement ?
Ou est-ce incitation à un avortement ?
Et le Saint apparaît : vierge et pur, un puceau.
L’âne vient d’une crèche, un veau d’or, un pourceau
Les bonnes fées se sont penchées sur son berceau
Joue ses auréoles comme avec un cerceau
Jouissant, vautré dans son enfance au nord, normée,
Nargue notre espoir morne et mort-né, vie bornée.
Et l’autre vérité ne sort pas de sa bouche
À cuillère d’argent. Dans sa culotte couche
C’est le petit prince ! Il gazouille et babille.
Mis aux nues au printemps, l’hiver vient puis rhabille...