L’ARMÉE DE LUMIÈRE
C’était un long tunnel, et glacial et opaque
Étroit et calme, comme un égout sous sa plaque.
On vit des lucioles percer du soupirail
Sorties de nulle part, éloignées du sérail
Sous le ciel de novembre à la belle hébergée
Une étoile est tombée, c’est celle du berger
Ne sont pas nés sous la bonne, elle lâche du lest
Elle a greffé la nuit à tout leur corps céleste
Sur la carte du ciel, brillent aux quatre coins,
On ne voit que leur dos fluo qui ne rompt point.
La clameur des bottines, le calme des chaumières
L’armée des ombres a des habits de lumières
Ils, ont le souffle au corps, elles, le diable au cœur.
Malgré le sifflement de cet oiseau moqueur,
Les dames divorcent donc de leurs deux patrons.
(L’un est à l’usine ; l’autre dans leur maison)
Que tous les porcs brûlent au bûcher sans aveu
À l’ombre grise des jeunes filles en feu
Pénélope n’attend ni mari ni Ulysse
Puis crée son pays sans les merveilles d’Alice.
Dans chaque Cosette sommeillait un Gavroche
La France profonde non gravée dans la roche
*
Il n’y a pas qu’à Paris que l’époque est pourrie
La chair se paye au prix, main invisible prie
Que les peaux périssent puis se paupérisent
Les paumes non lisses où les poils se hérissent
Que les poilus ont nos sales gueules d’emplois
Ancêtre entêté et réfractaire gaulois
La survie quotidienne est une lutte intime
Qu’un jour est une vie, qu’un sou est un centime
Vue d’en haut, la France est cet îlot provincial
Ce village où un ch’ti égale un provençal
D’une pointe d’accent, l’élite se délecte
De cette langue d’or qu’elle appelle dialecte
Voit le territoire comme un meuble à tiroirs
Du Midi jusqu’au Nord ouvrant grand ses terroirs
Aux brèves d’un comptoir quelque peu trop disert
Chuchotant le secret d’un médical désert
Tous ces bourgs, ces hameaux, ces cités, ces communes
Aux cent mille causes, soudain ne font plus qu’une
Où la joie, la peine se lient dans l’amitié
Sous le maillot, soudain, font ce même métier
D’ouvriers, paysans, d’employés, d’artisans
« Ahou ! » « Ahou ! » « Ahou ! » Un chant de partisans
Ils sont donc revenus, pied de guerre, de grue
Fondent sur la ville et ont traversé la rue
Viennent des montagnes, des vallées abattues
De contrées lointaines, qu’on a trop longtemps tues
De ces temps oubliés où vivre c’est attendre,
Que le bus ou la mort viennent enfin vous prendre
Où au soleil couchant, tous les nuages saignent
Sur le seuil des grilles des anciennes enseignes
De vallées lointaines où aucun train ne siffle
Ils gèlent et jeûnent, lorsque le givre gifle,
Tels leurs paysages : désolés. Morgue pleine,
L’homme qui rit... jaune, le Joker ou Gwynplaine !