Cyril Dion (avatar)

Cyril Dion

Ecrivain, réalisateur, poète, militant écologiste

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 août 2025

Cyril Dion (avatar)

Cyril Dion

Ecrivain, réalisateur, poète, militant écologiste

Abonné·e de Mediapart

Serais-je devenu complotiste ?

Dans son numéro 197 le journal Franc-tireur, sous la plume de Rudy Reichstadt, a publié un court article dans sa rubrique « Faux complot » qui m’accuse d’asséner « des propos d’un conspirationnisme échevelé ». Une réponse.

Cyril Dion (avatar)

Cyril Dion

Ecrivain, réalisateur, poète, militant écologiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans son numéro 197 le journal Franc-tireur, sous la plume de Rudy Reichstadt, a publié un court article dans sa rubrique « Faux complot » qui m’accuse d’asséner « des propos d’un conspirationnisme échevelé », « d’ultracrépidarianisme –cette tendance à parler d’un sujet qu’on ne maîtrise pas, à coups d’assertions fausses et approximatives » et termine en me suspectant d’antisémitisme.

Rien que ça.

Problème, ce papier est lui-même émaillé d’accusations fausses et gratuites, d’erreurs, d’ignorance crasse et ne présente ni sources ni arguments valable pour contester le fond de mon propos. J'ai donc décidé d'y répondre ici, sur le site de Mediapart, où s'exerce un véritable journalisme sourcé et basé sur des faits.

Objet du délit : ma chronique du 15 mars dernier sur France Inter « Pourquoi êtes-vous obligés d’aller travailler tous les matins ? ». Chronique qui serait « passée inaperçue à l’époque », alors qu’elle comptabilise tout de même près de 2 millions de vues sur les réseaux sociaux de France Inter, auxquelles s’ajoutent les plus de 800 000 auditeurs de la radio. Pour une séquence confidentielle, c’est tout de même un beau score et personne n’a, à l’époque, poussé de cris d’orfraie. Et pour cause...

Incompétent ?

D’abord Rudy Reichstadt allègue que je ne maîtrise pas le sujet dont je parle.

Ce qu’il ne sait pas, (puisqu’il n’a pas fait le plus petit début de recherche sur mon travail) c’est que pour notre film Demain (réalisé en 2015 avec Mélanie Laurent) et le livre éponyme sorti chez Actes Sud à la même date, j’avais fait de vastes recherches sur les mécanismes de création monétaire et leur lien avec la crise écologique. Une part non négligeable du documentaire et de l’ouvrage y sont consacrés. L’essentiel des arguments que j’avance dans la chronique y sont d’ailleurs développés dans une longue interview avec l’économiste Bernard Lietaer. Lietaer (décédé en 2019) a étudié au MIT avec le prix Nobel Paul Krugman, enseigné à l’université de Californie à Berkeley, fut haut fonctionnaire de la Banque nationale de Belgique, et est l’un des architectes de l’Ecu, l’ancêtre de l’Euro. Il était devenu l’un des chantres de la diversité monétaire, en opposition à ce qu’il appelait une « monoculture » consistant à utiliser une seule monnaie, créée par le crédit, pour tous les usages de l’économie.

Parmi les arguments mis en cause (évoqués par Lietaer lui-même), Reichstadt me reproche de confondre usure et prêt à intérêt (ajoutant à mon procès en incompétence). Malheureusement pour lui, le mot usure était bel et bien employé pour qualifier un prêt avec intérêt. Et cette pratique était belle et bien proscrite par la religion catholique et par l’Islam. Plus récemment, la définition du mot a évolué pour qualifier un prêt à taux excessif et la tolérance au prêt avec intérêt s’est assouplie chez les catholiques comme le décrit ici le journaliste et écrivain brésilien Edison Veiga.

J’invite donc Rudy Reichstadt à prendre connaissance de ces travaux et à faire un travail de journaliste (au moins d’essayer) plutôt qu’à proférer des accusations mensongères et, pour le coup, approximatives...

Complotiste ?

Ensuite Reichstadt, fort de son aura de directeur de Conspiracy Watch, m’accuse de conspirationnisme. Et pour cela, m’invente des intentions.

Il prétend que j’évoque une « conjuration pluriséculaire autour de la monnaie ».

Là encore, ses lacunes sur le sujet semblent trop criantes pour qu’il perçoive la différence entre une théorie du complot et une critique légitime d’un modèle économique et monétaire.

La remise en question du pouvoir des banques et de leur quasi monopole dans la création monétaire par le crédit est ancienne et largement documentée.

Par exemple, l’économiste et prix Nobel d’économie Maurice Allais, n’hésitait pas à écrire dans son ouvrage La crise mondiale d'aujourd'hui : pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires (p.74) : « En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le cancer qui ronge irrémédiablement les économies de marchés de propriété privée. » Mais également (p.110) : « Dans son essence, la création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique, je n'hésite pas à le dire pour bien faire comprendre ce qui est réellement en cause, à la création de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement condamnée par la loi. Concrètement, elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. »

On pourrait également citer cette phrase célèbre de Thomas Jefferson, troisième président des Etats-Unis, « Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour nos libertés qu'une armée debout. Celui qui contrôle l'argent de la nation contrôle la nation. » 

On pourrait encore parler des travaux de Bernard Lietaer donc dans The future of Money notamment, ou de son livre co-signé avec Christian Arnsperger, Sally Goerner et Stefann Brunnhuber, Halte à la toute-puissance des banques : Pour un système monétaire durable, ou encore de l’ouvrage de l’antropologue David Graeber Dette, 5000 ans d’histoire. Mais Rudy Reischstadt a-t-il lu tous ces ouvrages ?

Journalisme d’opinion et défense du néo-libéralisme

Je pourrais continuer à égrener les arguments, mais je me perdrais (malheureusement je m’y perds déjà) dans les méandres de la désormais célèbre loi de Brandolini ou « principe d'asymétrie des baratins » qui veut que « la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] soit supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ».

Pourtant, cet épisode prouve à nouveau une chose, qu’il n’est pas inutile de rappeler : Franc-tireur est majoritairement un journal d’opinion.

Pas un travail de journalisme sérieux. Selon les mots même de son co-fondateur Christophe Barbier, il s’agit d’un journal « d’extrême centre », qui prétend lutter contre tous les extrêmes (droite et gauche) et contre l’obscurantisme. Mais est-ce véritablement le cas ? On peut sérieusement en douter au vu de cet article, mais aussi du long décryptage qu’en ont fait Usul et Lumi sur Blast dans l’excellente émission Rhinocéros.

Comme l’écrit Pierre Serna, l’extrême centre est un extrémisme à part entière, « qui peut mener à l’autoritarisme ».

« Aux yeux de l’historien français, ce concept désigne des individus, des groupes ou des partis se réclamant du centre du spectre politique, à l’idéologie fluctuante et dont le caractère extrême renvoie à l’intolérance dont ils font preuve à l’égard de leurs opposants ainsi qu’à leur usage d’un pouvoir exécutif fort. » explique Ariane Ferrand dans le Monde.

« Les extrêmes centristes stigmatisent une droite et une gauche obligées de se radicaliser pour exister dans un champ politique suroccupé par le centre » écrit encore Serna. « Une fois au pouvoir, ils tendent à diriger le pays d’une main de fer et répriment leurs adversaires pour rester en place. » conclut Ariane Ferrand.

Franc-tireur ne se cache pas d’appuyer ce projet politique, aujourd’hui incarné par Emmanuel Macron. Et en son temps par des personnalités comme Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Un projet néo-libéral, croissanciste.

Et que fait un journal d’opinion qui défend un projet politique ? Il utilise bien souvent ses pages pour décrédibiliser les idées « ennemies », commodément fourrées dans un seul et grand sac baptisé « obscurantisme », « extrémisme » ou « complotisme ».

Pourquoi s’en prendre à moi alors ?

Peut-être parce que, comme se plaît à l’écrire Rudy Reichsatdt dans son papier (qui, décidément, n’est ni fait ni à faire), je serai « devenu une figure hexagonale influente de la décroissance » un « adepte du décroissantisme » (on appréciera le néologisme méprisant). Or, la décroissance est un extrémisme, un obscurantisme, qu’il faut abattre à tout prix pour l’extrême centre. Mais plutôt que de le faire avec des arguments solides, plutôt que de démontrer qu’il est factuellement inexact que le mécanisme de création monétaire par le crédit nous pousse mécaniquement à une croissance infinie dans un monde fini (et que nous sommes prisonniers de ce mécanisme qui nous oblige à nous lever tous les matins pour faire tourner un système économique devenu mortifère). Plutôt que de prouver qu’aucune décroissance n’est nécessaire pour faire face au péril écologique et rester dans le cadre des limites planétaire, il est plus commode de me traiter de complotiste, d’incompétent et pourquoi pas d’antisémite (par les temps qui courent cela peut faire son petit effet, après tout je parle un peu trop de Gaza). C’est plus rapide.

Sauf que c’est indigne.

Particulièrement dans un journal qui prétend rétablir des faits.

Mais peut-être qu’en disant tout cela, j’invente un nouveau complot. 

Allez savoir...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.