Ce texte vise à essayer de raccorder la vision écologiste, avec un peu de provocation, avec sinon la raison, du moins un minimum de cohérence.
Il y a souvent des modes dans la contestation citoyenne. Certains se ruent là où il y a de la lumière ! Après l’anti-nucléaire, les OGM, après les OGM, le gaz de schiste, les mines de lithium, de sable et ainsi de suite, sur plusieurs décennies ont voit les militants, parfois les mêmes, zapper les luttes précédentes et s’impliquer à fond sur les prochaines…
L’extractivisme est actuellement à la mode dans la contestation. Actuellement la lutte la plus connue en Europe est contre l’extension de Lützerath en Allemagne[i].
Mais on devine pointer celles sur le lithium qui sous tendent le développement de la « décarbonations »[ii] et plus récemment celle contre de nouveaux forages de pétrole en Aquitaine.
Récemment on a vu le refus à tout crin du gaz de schiste, plus précisément de son exploitation par fracturation hydraulique. Enfin justement ce n’est pas si clair. La France et ses habitants refusent le gaz de schiste…bravo quel mensonge ![1]
Nous en importons de plus en plus, 2023 a été l’année record !
La question centrale est pourquoi les groupes militants vont s’opposer à la mise en œuvre de puits de gaz en France et ne pas aller bloquer ce même gaz dans les ports par lesquels il arrive, exception faites de quelques militants écologistes ?
Certains sont contre le gaz de schiste, parce que c’est une énergie, et qu’elle favorise l’industrie. D’autres sont contre le gaz de schiste parce qu’à l’instar de l’ensemble des hydrocarbures, il participe au réchauffement climatique. D’autres encore, très minoritaires, sont des MTT, militants tout terrains, anticapitalistes, qui s’investissent dans cette lutte comme dans d’autres pour tenter de montrer les contradictions du capitalisme et d’impulser des luttes qui devraient converger. Enfin une majorité de personnes, le sont, car elles en devinent les dégâts potentiels, parfois imaginaires et souvent réels. Parmi cette dernière catégorie, la plus importante part refuse le gaz de schiste car son exploitation pourrait se faire à proximité de chez elle ! Majoritaires parmi la majorité des opposants, ces individus peuvent être qualifiés du sobriquet désormais connu de : « Nymby » : « Not in my back yards » que l’on peut traduire par « pas dans mon jardin », ou encore, « pas dans mon arrière court ».
Reprenons brièvement nos catégories d’opposants.
La première catégorie relève de ce que l’on peut nommer les anti-industriels. Pour les plus aboutis, ils refusent par définition en grande partie la division du travail, ses inconvénients et ses avantages. Cohérent ceux ci n’utilisent ni voitures thermiques, ni tronçonneuses et essaient d’être cohérent avec eux même, bien que ce soit mission impossible, puisque l’essentiel de notre bilan énergétique n’est pas individuel mais collectif : infrastructure santé, soin, enseignement, ville, industrie, route…) De plus cette fraction a parfois une attitude quasi-religieuse vis à vis de la nature et ceci peut avoir un effet repoussoir plus que propagande par le fait.
La seconde catégorie est celle des écologistes, anticapitalistes ou non, qui s’inquiètent à juste titre de deux choses.
La première réellement problématique est celle du basculement des équilibres climatiques, de leurs répercussions sur les écosystèmes, voir le geosystème lui même, en raison du réchauffement climatique, de la chute de la biodiversité. Les conséquences du réchauffement climatique vont être terrifiantes, meurtrières ! Nous n’en sommes qu’au début et les incendies à Athènes de l’été 2024 mettent en avant qu’un pays seul ne peut lutter contre et qu’il faut toute l’Europe derrière coordonnée. Qu’en sera-t-il dans 10 ans ? Le gaz de schiste, ou plutôt son exploitation, ne représente que quelques % qui malheureusement ne changera rien en pratique le réchauffement est planétaire. La question est plus, empêcher un site d’exploitation en France va-t-il diminuer la consommation et donc les émissions au niveau mondiale.
Les écologistes seraient à la limite plus pertinents d’empêcher un site localement : les conséquences sur les écosystèmes proches des points d’exploitation. C’est à dire en premier point, le moins important, un impact sur le paysage par la construction d’un site industriel, tout comme toute usine, carrière, mine, ligne de chemin de fer, autoroute, habitation. Il faut relativiser : cette destruction est réversible, en quelques décennies. Quant à l’aspect esthétique, notamment qui fait chuter le prix de l’immobilier c’est un regard très individualiste.
Non ce qui préoccupe les écologistes dans l’exploitation du gaz de schiste, ce sont les conséquences sur l’eau douce. La pollution des réserves d’eau potables par l’injection en grande quantité d’eau, avec l’adjonction de nombreux adjuvants chimiques destinés à faciliter la séparation de l’hydrocarbure de la roche. Cette technique est tout à fait inquiétante et de nombreuses études en démontrent les dangers. Mais nous y reviendrons, car sur ce point aussi il faut être cohérent.
La troisième catégorie des contestataires a raison et tort en même temps. En tant que révolutionnaires, il est toujours important d’être présents sur les terrains de lutte et d’y apporter une vision d’ensemble pour donner des perspectives politiques de rupture. De rappeler que le système à combattre est celui du salariat et de l’exploitation capitaliste. Par contre, il règne une ambiguïté à faire croire, qu’un combat contre le gaz de schiste est emblématique d’une lutte contre le système capitaliste. Le combat contre les dégâts sur l’environnement est à notre sens suffisamment pertinent en lui même. La destruction de l’environnement n’est pas le propre du capitalisme, ni même de la société industrielle. Nombre de déserts sont issus de l’agriculture du néolithique au proche orient notamment. De surcroît la grande majorité différents courants ouvriers communistes y compris anarchistes, n’ont jamais été anti-industriels, et ont toujours prôné une division du travail qui pouvait apporter du confort matériel. Pouvoir travailler 4 heures par jour grâce aux machines (et donc au pétrole, gaz, charbon…) L’exception des anarchistes du courant naturien du début du XX est très très minoritaire.
Pour terminer sur les militants révolutionnaires, je pense qu’il devrait y avoir une réflexion de fond sur le temps mis dans ces luttes et le gain global sur le moyen et long terme pour la cause révolutionnaire. Il y a des militants de gagnés, mais combien de perdus, épuisés ? De plus, cela donne l’illusion d’être nombreux à un endroit tandis que les militants révolutionnaires deviennent quasiment invisibles dans le monde du travail, qui quoi qu’on en dise, reste le levier du capitalisme et donc le point pour l’abolir.
Ces luttes, pour les révolutionnaires, devraient être aussi l’occasion de penser la démocratie intégrale, c’est à dire prendre en compte l’ensemble de la population y compris celles et ceux qui sont pour un site d’exploitation, non pas pour trouver un compromis en construisant un demi-site par exemple mais en pensant les prises de décisions, notamment pour des actions à conséquences planétaires.
Les luttes environnementales doivent aussi être l’occasion pour les révolutionnaires de penser cohérence et aller au delà de la simple lutte anticapitaliste et d’avoir une vision anthropologique des choses.
Qu’en est-il alors de la quatrième catégorie ? Celle des opposants hic et nunc. A la différence des trois premières catégories, la dernière se mobilise essentiellement quand la question se pose dans son environnement proche. Selon le contestataire, le périmètre de mobilisation peut aller de quelques centaines de mètres à la taille d’un département. Une partie de cette population a des propriétés remarquables : Une fois mobilisée sur un sujet, par exemple le nucléaire, elle va se mobiliser sur tout autre sujet arrivant dans son périmètre (éolienne, carrière, exploitation agricole, élevage canin, centre pénitentiaire). Par contre, la préfecture (ou une autre institution), éloigne le même sujet (nucléaire) de quelques dizaines de kilomètres et hop, le contestataire retombe dans sa léthargie de citoyen électeur qui se réveille un dimanche toutes les quelques années. Les premières fois que l’on voit cela, on se dit que ce n’est pas une règle universelle. Et bien si ! Tout comme la gravitation, ou la force électromagnétique faible, on peut reproduire l’expérience à l’infini et constater que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
La contestation à l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique connaît de manière très forte ce phénomène de Nymby.
Que conteste cette partie de la population dans l’exploitation du gaz de schiste ? Le refus des produits manufacturés, de l’automobile ? Que nenni. Elle dénonce peut être, les risques du réchauffement climatique et ses conséquences sur les habitants de la Polynésie ? Non.
Elle a peur que lorsqu’elle va mettre un briquet allumé sous son robinet, que l’eau s’enflamme ! Entre parenthèse avouez que pour avoir l’idée de mettre le feu au robinet de sa cuisine est assez bizarre.
Ce qu’elle conteste aussi, à part avoir un peu de flamme dans l’évier (ce qui à Noël peut être très sympathique), c’est qu’elle voit de sa fenêtre ou en emmenant les enfants à l’école, les derricks à côté de chez elle, et puis tous ces camions qui vont passer. « On est plus chez nous ! ».
Cette population est La population, c’est « nous » elle est moyenne, ni plus de droite, ni plus de gauche. C’est elle qui consomme sans restriction, selon ses moyens et bien au dessus de ses besoins. (besoins en termes basiques). Cette population est le moteur du système consumériste mondialisé. Nous en faisons presque tous partie, même indirectement.
Nous demandons nous comment sont produits et transportés les tee shirt bon marchés que nous surconsommons ? Avec quel hydrocarbure ? Se demande-t-on d’où proviennent l’essence et le gasoil que nous prenons à la station ? Sommes nous prêts à nous priver un tant soit peu de notre facilité de mobilité ? Non !
Nous voulons tout. Les bénéfices des hydrocarbures sans les inconvenants ! Surtout ne pas se priver, ce qui peut être légitime, mais surtout ne pas assumer les conséquences de sa non privation.
Pour la population, consommer du pétrole, du gaz (déplacement, chauffage, produits industriel) et refuser l’exploitation du gaz de schiste, c’est comme jeter ses ordures chez le voisin après avoir consommé mais en plus l’assumer !
Les conséquences politiques, sociétales, environnementales de la production de l’essence importée que nous consommons ici est bien plus grave que ce que ne serait celle de l’exploitation du gaz de schiste en France. Tout simplement que les normes ne sont pas au même niveau en général. Sauf que ce n’est pas sous nos yeux, et en plus ce sont des étrangers, ils sont plus durs au mal, il y a un mélange implicite (mais pas si inconscient que cela) de reste de colonialisme et de racisme.
D’où viennent les ressources fossiles que nous consommons ici ?
L’uranium qui alimente nos centrales ? Niger, par exemple jusqu’à il y a peu et Kazakhstan aujourd’hui. Des adolescents y travaillent…
Le pétrole consommé en France d’où provient-il ? L’Insee nous informe qu’il y a une forte évolution de la participation de l’Afrique à nos importations entre 2011 et 2023, et si le Nigéria et l’Algérie ont vu leur part baisser, celle du Gabon et de du Congo, ainsi que de la Libye (après un break) augmentent fortement. Les importations d’Afrique sont à 39 %, le moyen orient 17 % quand l’ex-URSS redescend à 12 %. La Norvège 7 % et la France ? Moins de 1 %. A noter qu’on importe de plus en plus de produits raffinés…
Tout le pétrole n’est pas puisé dans des déserts inhabités…
L’Afrique augmente sa part, et dans ce qui nous intéresse ce sont les zones les plus fragiles (peuplées, agricoles et avec des faunes et flores très riches).
Les rapports des scientifiques africains sont nombreux pour dénoncer les dégâts de l’extraction du pétrole qui fait avancer nos voitures. Ironie des régions comme le Rutshuru (RDC) manquent de pétrole pour leur propre population ! Il suffit de lire pour cette région, le mémoire de Mousantou Yakaremeye Zirimwabagabo intitulé : Problématique de l’exploitation pétrolière sur la destruction de l’environnement dans le territoire de Rutshuru. Mais avant de voir les dégâts environnementaux et les conséquences sanitaires sur les populations, rappelons que la région des Grands Lacs est traversée de conflits permanents meurtriers en partie liée à l’exploitation des richesses (dont le pétrole) qui servent à notre consommation quotidienne. Les guerres de RDC ont fait plus de six millions de morts ces deux dernières décennies et vous saurez reconnaître que ces guerres sont les nôtres, notre mode de consommation en est largement la cause et nous en profitons !
Il n’y pas d’appétence particulière des congolais(e) s pour être violé(e) s et tué(e) s…
Nous pouvons citer les catastrophes humaines et écologiques, au Tchad, (et conséquemment en Centrafrique,), en Angola. Mais en fait il suffit de s’attarder sur les études et reportages officiels qui ont lieu sur l’exploitation du pétrole au Nigéria.
Il y a de nombreux documents, reportage sur la malédiction de l’or noir ![2] [3]
A la lecture de ces différents documents, au visionnage de ces reportages, j’attends encore qu’un habitant de France puisse dire en face, « je roule en voiture, en bus, ou en train, l’énergie qui me sert à me déplacer produit ces conséquences sur des peuples qui eux n’ont même pas accès à cette énergie et je maintiens que je suis contre l’exploitation du gaz de schiste dans mon pays ! » Dit autrement, « ces pays sont les poubelles de mon mode de vie et c’est comme cela ».
Soyons rationnels, soit on refuse ici et maintenant toute utilisation du pétrole : on ne se déplace pas, on ne consomme pas des aliments qui ont été produits avec des engrais (issu du pétrole) ni avec des tracteurs, ni déplacés avec des camions, soit en toute logique on exige l’exploitation du gaz de schiste ici au nom du moindre mal et du respect du produire local, consommer local…et polluer local !
Lorsqu’il y a des pollutions similaires, c’est bel et bien, ceux qui consomment qui doivent assumer les conséquences, on en conviendra. N’oublions jamais que l’industrie et les industriels ne produisent que des produits que nous consommons…
Alors quelle position adopter réellement ?
Combattre des projets ici et maintenant a l’avantage de mettre en lumière les dégâts de l’extractivisme, mais en même temps, tant qu’on reste dans le même système, ce sont les populations les plus fragiles du sud qui en souffrent pour nous. A part les quelques personnes qui essaient d’être zéro carbone, zéro eau gaspillée (et encore nous répétons que l’essentiel de notre pollution est collective), il y a donc en même temps une attitude écologiste d’un côté et profondément colonialiste/impérialiste (au sens profiter d’autre territoire et population) de l’autre. Evoquer qu’on serait tous victimes d’un système est hypocrite. Soit on est victime et on ne peut rien faire avant le « grand changement » (par qui, où, comment ?), c’est la même théorie qui a bloqué les envies révolutionnaires des classes ouvrières de l’Ouest après 1945. Soit on se révolte contre un site local et la capacité politique qu’on développe on peut alors la développer avec les autres.
Pourtant les populations victimes, souvent dans les pays du Sud se battent et meurent pour la défense environnementale (Colombie, Brésil, Maroc …) par centaines
Là encore il y a des liens qui existent entre les syndicats ouvriers et paysans du Sud et du Nord, entre les plus militants. Mais alors comment sortir par le haut de cette contradiction ?
Le syndicalisme originel avait dans sa construction une approche globale, avec un regard sur la qualité des produits consommés par la classe ouvrière, notamment via le label syndical qui regardaient les conditions de productions ailleurs. Aujourd’hui c’est marginal. Cela devrait redevenir central dans le syndicalisme.
D’un point de vue rationnel, à tous les niveaux, il est préférable à production constante d’ouvrir une mine, des puits au plus près de la consommation et d’en fermer une ailleurs. Le problème est l’effet rebond qui donne toujours un argument aux Nymby, produire ici ne baissera pas l’extraction ailleurs car la consommation augmente.
N’empêche, ceux qui consomment le plus et bien au delà du strict nécessaire (pour la majorité) polluent le plus …chez les autres.
[1]https://reporterre.net/Cet-hiver-la-France-a-massivement-importe-du-gaz-de-schiste
[2]https://www.youtube.com/watch?v=21vH0HLmHxM (Niger BBC)
[3]https://reporterre.net/Le-petrole-continue-a-devaster-le-delta-du-Niger
[i] https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/en-images-allemagne-la-mine-de-charbon-de-lutzerath-symbole-de-l-opposition-aux-energies-fossiles_5609408.html.
[ii] https://www.radiofrance.fr/franceinter/l-une-des-plus-grandes-mines-europeennes-de-lithium-va-ouvrir-en-france-d-ici-2027-3063449