Cyrille Rodolphe GALLION

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Billet de blog 21 décembre 2024

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Les "Ok Boomer" ou les idiots utiles du consumérisme capitaliste

Mot d'introduction lu lors d'un colloque le libre choix des personnes âgées "mythes ou réalités"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Les Ok Boomer ou les idiots utiles du consumérisme capitaliste »

Travailler auprès de, pour et avec les « senior(e)s nous a amené à constater que la « personne âgée » n’existe pas. Elle n’existe pas au sens où on ne peut pas l’essentialiser, la réduire à son âge.

Vous allez toutes et tous être d’accord, chaque personne, chaque individu est différent et l’identité, ressentie comme perçue, repose sur de multiples facettes.

Cependant il peut s’agir d’un piège où l’individualisme face à une société de consommation nous voudrait tous à égalité face à la machine.

L’essentialisation avec son cortège d’étiquettes, de stéréotypes, de préjugés conduit à un ensemble de comportements et de discriminations envers les plus âgés.

L’individualisation, elle, nous conduit à dire que chacun est responsable de ses actes, de sa situation et que si « on veut on peut ».

Dans notre société tout le monde navigue à vue entre des approches morales, voir moralistes où on dénonce des dominations, dans tous les sens, on culpabilise chacun sur ce qu’il est dans la société et pas ce qu’il fait, mais où on oublie l’essentiel.

Disons que le système capitaliste a tout intérêt à dénoncer toutes les dominations à égalité, cela dilue, voir ringardise, sa propre domination.

Non toutes les dominations ne se valent pas, même si elles sont toutes à combattre.

Oui la liberté de choix est largement un mythe.

Notre cerveau a décidé d’un acte quelques déci-secondes voire jusqu’à 10 secondes avant que nous n’en soyons conscients.

La notion de libre arbitre est un concept très marqué politiquement et religieusement, il ne repose pas sur une approche scientifique. Nos choix sont largement marqués par le collectif mais aussi et toujours par la chimie. Est-on responsable de son isolement quand avec la thyroïde un peu déréglée on « pète » régulièrement les plombs. Un malade est-il responsable lorsque qu’atteint de la maladie de Parkinson, malgré lui, sous l’effet de la dopamine il agresse sexuellement. La justice va se retrouver ainsi de plus en plus impactée par les neurosciences, par la compréhension des effets des traitements, des dérèglements dans le cerveau . Quelle est notre part réelle de choix dans nos actes ? Le capitalisme est en apparence vicieux : en même temps il défend un individualisme où nous sommes libres de choisir et en même temps ne cesse de s’appuyer sur les neurosciences pour nous amener à avoir les comportements qu’il souhaite, tant dans la production (au travail) que dans la consommation.

Il faut faire attention cependant à quoi pourrait servir ces neurosciences, car si individuellement nos choix sont largement déterminés, il ne faudrait pas non plus basculer dans un ultra-déterminisme et penser que nous sommes impuissants à agir sur nos vies. Il existe de grandes capacités de choix collectifs. C’est le creuset de la pensée révolutionnaire du XIX, où l’on peut citer brièvement Proudhon, comme Bakounine et bien d’autres.

Par ailleurs même si il existe des fondamentaux anthropologiques dans nos comportements, notamment sur des comportements dominateurs, nous savons que la culture, l’éducation peuvent largement orienter ces comportements. Comme on dit « un homme ça s’empêche ».

Les vieux seraient tous les mêmes et en même temps ils seraient responsables de leurs choix ?

Et si nous revenions aux dominations et à la personne âgée ?

Quand nous travaillons sur la situation des discriminations faites aux personnes âgées, à leurs libertés supposées de choix, tout se rapporte à d’autres discriminations, et en premier au genre. La femme âgée subit plus de discriminations que l’homme âgé.

Mais si nous approfondissons l’analyse de chaque situation, tout finit au rapport au travail et aux moyens de subsistances. Le travail reste le centre de toutes les dominations et ce depuis l’aube des temps.

La classe sociale reste l’élément central dans les capacités à avoir un minimum de choix.

Si le désir, la société, l’information, le réseau social, les ressources matérielles et énergétiques sont très importants pour avoir des choix, les capacités physiques, intellectuelles et financières des individus et des couples restent primordiales.

Bien sûr, la maladie, peut survenir sur toutes et tous à tout moment et si nous avons prise sur la prévention de beaucoup, il reste une part importante des pathologies qui nous semble survenir encore « au hasard ».

Néanmoins, nous savons que les métiers exercés et les conditions de travail, dont le revenu, sont déterminants pour l’état de santé et pour la durée de l’espérance de vie.

Le même âge de départ à la retraite alors qu’il y a 13 ans d’écart d’espérance de vie entre les hommes les plus riches et les plus pauvres et 8 ans pour les femmes ? Cela m’a toujours interrogé ? Quelle est l’égalité là sur ce point ?

Souvent « on » a tendance à renvoyer à la mauvaise hygiène de vie des plus précaires. Juste une remarque sur ce préjugé sur les soit disant comportements des plus pauvres : Santé Public France, indique que dans la consommation d’alcool, par exemple, les femmes plus diplômés ou les hommes avec un revenu un peu supérieur consomment plus d’alcool que les précaires !

Avec l’allongement de l’espérance de vie, on oublie qu’il y a aussi une espérance de vie en bonne santé et que celle-ci est encore plus marquée par des inégalités en terme de classes sociales ou de type de métier. Les pathologies, maladies chroniques liées aux professions, notamment chez les ouvriers et employés sont aussi des facteurs d’inégalité.

Si nous prenons la situation des femmes âgées. On peut remonter au néolithique et remarquer très vite une usure plus marquée sur certains os qui montre déjà l’assignation des femmes sur certains travaux pénibles. La surcharge de travail pour les femmes n’est pas nouvelle. Les femmes à l’usine, les femmes dans les champs, toujours avec la gestion domestique en sus.

La double, triple exploitation des femmes sont liées au travail qu’il soit rémunéré ou pas. Arrivée à la retraite, on assiste à une différence de 770 euros de moins de revenu entre les hommes et les femmes. Cela est largement dû au fait d’avoir à cumuler tout au long de la vie ses doubles et triples tâches.

Et pourtant, on entend du « Ok Boomer » partout, visant à mettre tous les seniors dans le même sac. Boomer s’appliquant même aux parents de boomers comme aux enfants de boomers, tellement s’installe un rejet des responsables supposés du désastre écologique. J’ai déjà écrit dans un article que les choix politiques avaient été imposés largement notamment aux ouvriers et paysans dans l’après seconde guerre mondiale et que d’un autre côté, les personnes de 90 ans aujourd’hui sont très rares à acheter 25 kg de vêtements neufs par an en France (ce qui est la moyenne aujourd’hui). Nous n’avons jamais autant consommé de vêtements et de plastique qu’aujourd’hui.

Le « Ok boomer », c’est tous les seniors sont riches, tous ont profité ! C’est la « bouc-émisarisation » d’une classe d’âge pour détourner des vrais problèmes. Le « OK boomer » c’est l’idiot utile de l’ultra-capitalisme qui ravage la planète.

Dire que les retraités sont plus riches que la moyenne c’est non seulement faux, mais en sus cela donnerait une moyenne qui ne veut rien dire. Une partie des seniors est riche et très riche. Une moyenne ne veut rien dire pour la vie au quotidien de la réalité de nombre de personnes.

Il y a plus de deux millions personnes âgées en France en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de pauvreté augmente après 75 ans. Le non-recours aux droits s’aggrave avec l’âge.

Et encore nous regardons le revenu, pas le reste à vivre. Un exemple la précarité urinaire avec jusqu’à 150 euros par mois en reste à charge sur une retraite de 1000 euros et bien c’est une source d’isolement. Acheter des protections et sortir ou acheter de quoi manger, il faut choisir ! Ce n’est pas anecdotique, les fuites urinaires et l’incontinence sont un tabou qui touche beaucoup de personnes et les femmes largement en premier.

La solitude coûte cher car tout simplement il n’y a pas d’économie d’échelle, de mutualisation sur la nourriture, les déplacements, le logement, le loisir… Vivre seul est un luxe. Rappelons aussi que plus de 2 millions de personnes de plus de 75 ans vivent seules.

Là encore moins on a de revenus chez les seniors plus l’isolement est marqué et fortement marqué.

Nous pourrions lister encore nombre de faits, d’exemple…

Alors oui, au regard des inégalités sociales et de ses conséquences sociales, physiques, cognitives, le libre choix est loin d’être une évidence pour beaucoup.

La personne âgée n’existe pas, pas plus que n’existe le fait de mettre toute une génération, celle du babyboom, dans la même case, les riches, les pauvres, les ouvriers, les cadres, les femmes, les hommes, les immigré(e)s…

La notion de Ok boomer, sert la domination capitaliste.

Cyrille Gallion

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