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Billet de blog 30 septembre 2023

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Non les vieux n’ont pas détruit la planète !

Face aux certitudes qu’il faudra faire avec moins de ressources pour plus de demandes dans un environnement plus hostile, nombre de personnes, aidées en cela par un combat culturel à plus ou moins bas bruit, voudraient mettre sur le dos d’une ou deux générations la situation actuelle et l’impasse dans laquelle nous sommes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« C’est la faute aux boomers : ils se sont gavés et nous aura les miettes ». Mais c’est qui le « ils » et qui le « on » ?

Démographiquement les boomers, sont, dans les pays les plus touchés par la seconde guerre mondiale, les personnes nées entre 1946 et 1950/55. Soit les personnes qui (dans quelques pays- et pas toute la planète) ont aujourd’hui entre 67 et 77 ans.

Les vieux, en général dans un pays comme la France, c’est à dire le grand âge, ont plus de 80 et plutôt plus de 85 ans.Les vieux ne sont donc pas dans ces fameux « boomers »

Bref pour dire clairement aux personnes qui en traitent d’autres de boomers, précisons que si on a 55 ans on est un enfant de boomer et si on a 85 ans on est un parent de boomers. Soyons précis. Car avant même de savoir si les boomers sont coupables de quoi que ce soit, cessons de mettre dans tout ce qui a des cheveux gris, voir grisonnant, dans une catégorie.

Boomer concerne donc une génération, celle du baby boom d’après-guerre. Il est factuel d’écrire que cette génération a été/est très nombreuse avec des conséquences socio-économiques diverses (construction de nombreux collèges par exemples dans les années 50/60 en France). Il est en revanche faux et dangereux d’essentialiser chaque individu de cette classe d’âge et d’en faire les responsables de tous les dégâts environnementaux. Dit autrement les boomers ne sont pas tous les gens de plus de 45 ans, mais en plus cette génération n’est pas un groupe homogène. Comme dans toutes les classes d’âge, la majorité fait partie de la classe salariée. Et la moyenne des revenus cache des inégalités très fortes.

Les mauvaises compréhensions de l’intersectionnalité font des dégâts à éluder, encore et toujours les différences de classes.

Régulièrement il est possible d’entendre d’autres approximations comme « les jeunes d’aujourd’hui sont plus concernés par les problèmes du changement climatique ».

Cela place tous les jeunes dans un même état d’esprit, sans poser la question de quel(le)s jeunes ?

Les jeunes de quels pays, de quels milieux ou de quelles classes sociales ?

Après le rapport Meadows (69), une partie de la jeunesse des pays occidentaux était très engagée dans les luttes anti-nucléaires et pour l’écologie. Une part non négligeable des paysans qui arrivent aujourd’hui à la retraite viennent de cette vague de retour à la terre des années 70. Les mouvements écologistes actuels ont largement été forgés à cette époque.

Par contre il est important de pointer le tournant de 1979, très bien raconté par Daniel Rich (Perdre la Terre)1 qui montre en détail comment des groupes pétroliers ont changé la mentalité des gens (de nous, de nos parents) sur ces sujets à coup de milliards d’euros ou de dollarsi. L’industrie pétrolière a investi des milliards pour changer notre façon de penser. Je pense que nous sommes nombreux à sous-estimer la capacité de l’ennemi à fabriquer du « total recall » comme l’explique si bien Chomsky dans plusieurs ouvrages ou films (exemple : la fabrique du consentement). Cela va au-delà des combats pour les valeurs culturelles, il s’agit de modifier les sources, des changements de définitions et de mettre en avant des contenus. Avez vous déjà comparé des entrées précises, des éditions de manuel scolaire ou d’encyclopédies sur une décennie ?

Donc oui une partie des boomers d’aujourd’hui a été consciente, et même active sur ces questions d’impasses environnementales. Mêmes les gouvernements capitalistes occidentaux étaient prêts à changer les choses en profondeur (toujours Daniel Rich) pour éviter la catastrophe.

D’un autre côté, regardons en face les choses sur les mythes d’une jeunesse « écolo ». La société est clivée au moins en deux mais pas selon les générations ou l’âge. Des vieux, très vieux, moins vieux, moyens, jeunes, ont pris conscience de l’urgence et de l’autre d’autres sont, non pas dans une négation, mais plutôt dans « c’est aux autres de commencer à changer » ou « on commence à nous barber à ne parler que de ça ». Sans oublier, qu’aujourd’hui la question climatique est mise en avant à un tel point, qu’elle met derrière les autres questions environnementales (comme la chute de la biodiversité) et voir le fait que des écologistes aujourd’hui vont défendre le nucléaire au nom de la primauté de la lutte contre le changement climatique et que la lutte des classes n’existe même pas.

Mais regardons aussi précisément qui consomme quoi ? Qui pollue ? Faisons nous aussi une démonstration par l’absurde.

Par exemple sur le plastique, qui est une catastrophe, la production est passée de 25 millions de tonnes en 1968 à 150 millions de tonnes en 1998, soit durant l’âge adulte des « boomers »...Elle est ensuite passée de 200 millions de tonnes en 2002 à 360 millions de tonnes par an en 2020. La production et la pollution est donc 15 plus importante à l’époque où les gens nées en 2000 ont 20 ans que celle où les gens nés en 1948 ont vingt ans. Même rapporté à l’accroissement de la population, les individus consomment en moyenne beaucoup plus de plastiques aujourd’hui qu’il y 60 ans.

Et si on s’en tient à l’Europe, l’accroissement est aussi spectaculaire. En moyenne un millénium de 23 ans, consomme beaucoup plus de plastique qu’un boomer qui avait 23 ans en 1968.

Cela montre qu’une analyse qui mettrait toute génération dans un même sac est absurde.

Une grande partie du réchauffement climatique d’aujourd’hui est dûe aux émissions d’il y a un siècle. Va-t-on accuser le berger sarde des années 1920 d’être coupable, ou même le mineur de fond belge des années 1880, qui bien qu’extrayant le charbon n’en a pas été un grand bénéficiaire au regard de son espérance de vie ? Avec ce recul, on aura plus facilement tendance à accuser le capitalisme d’avoir profité de cette pollution. Nuançons il serait faux de dire que cette énergie abondante n’a pas aussi amélioré globalement les conditions de vie de toutes les classes sociales.

Les compromis scandinaves entre classe ouvrière et capitalisme des années 50/60 repose sur ce partage de l’abondance énergétique. Le capitalisme avec l’énergie facile peut s’enrichir et en même temps permettre une grande amélioration des conditions de vie des salariés.

Être exploité n’empêche pas de profiter du consumérisme.

Prenons l’exemple du textile et de sa consommation.

Les personnes qui sur-consomment sont-elles uniquement victimes d’un système qui joue sur la fonction récompense du cerveau ou bien ont elles la capacité de moins consommer et d’acheter beaucoup moins de vêtements. Je prend en compte que les plus pauvres achètent parfois de moins bonne qualité et qu’ils vont globalement acheter plus en raison du renouvellement. Mais quand même.

Entre 2005 et 2020, la consommation de textile a doublé. En Europe on achète en moyenne 25 kg de vêtements par an par personne! On pourra arguer que la part de la consommation de textile a baissé dans le budget des ménages depuis 1960, mais vu la chute des prix, cela n’enlève rien à l’accroissement de la quantité de vêtements. Le problème est que le textile est un gros pollueur, un gros consommateur d’eau. Le développement de la seconde main et les livraisons commandées via internet et donc avec des transports en sus, plus un effet rebond, ne fait que déplacer les problèmes environnementaux. La surconsommation de textile neuf ou d’occasion est un défi culturel. Il faut inverser les valeurs et valoriser le vieux, l’ancienneté ou le rapiécé plutôt que le neuf.

Au regard des évolutions, au sein d’une même classe sociale, une personne de 25 ans aujourd’hui a déjà acheté plus de vêtements qu’une personne de 90 ans ! Je ne suis pas si vieux, ni d’une classe particulièrement précaire mais dans les familles quand j’étais enfant, dans les années 70-80, les vêtements passaient des cousins et des frères/sœurs les plus âgés vers les plus jeunes. Un pantalon servait ainsi sur 3 ou 4 enfants. Aujourd’hui l’hyperfast fashion est pour certains ou certaines un droit : on a quand même le droit d’acheter des vêtements tous les mois ! Le consumérisme vécu comme une liberté fondamentale !

Si on continue à travailler ou chercher, par classe sociale , on pourrait aussi prendre la consommation des voyages en avion. Selon la dernière étude du gouvernement les 25-34 ans, prennent l’avion pour leurs déplacements de longue distance à 14 % contre 9 % pour les plus de 55 ans. Si ensuite on prend en compte que l’on se transporte beaucoup plus à l’étranger qu’il y a 50 ans, en effet, à part dans certaines professions, quelqu’un de 35 ans a en moyenne beaucoup plus pris l’avion que quelqu’un de 90 ans.

Surtout ne pas culpabiliser...

Textile, plastique, mode de transport, en ne prenant en compte que la classe d’âge on pourrait affirmer que les plus jeunes polluent plus que les plus âgés...C’est vrai et c’est faux. Vrai car factuellement les individus jeunes ont en moyenne un bilan carbone plus élevé que les très âgés. Faux car les individus n’existent pas, en ce sens, qu’ils ne sont pas responsables de tout ce qu’ils « consomment », émettent, puisqu’ils font partie d’une société avec de nombreuses interactions et surtout des rapports de dominations et de contrôles. Quand les sciences du cerveau et du comportement servent à favoriser la conception, par exemple des circuits dans les magasins, ou les packaging, qu’elle est la part du libre arbitre ?2 Cependant comme écrit plus haut, une fois ayant connaissance des effets de notre consommation, il y a nombre de comportements qui ne sont plus excusables. La « machine », ne cesse de nous dire, pour son propre profit, qu’il ne faut pas culpabiliser les gens.

Culpabiliser, c’est à dire rendre coupable de l’existence du système. Sur ce point on est d’accord. Individuellement nous ne sommes pas coupables de l’existence du système. Par contre, quand la machine et les médias réactionnaires écrivent « il ne faut pas culpabiliser les gens », ils pensent que, même conscients nous ne devons pas changer de comportement !

Là nous disons stop ! Les gens, majoritairement subissent le système, ne sont pas responsables de son enfermement. Autant il est assez difficile de dire à des personnes de ne pas faire tel ou tel travail, car sans salaire dans cette société, individuellement on ne peut pas faire grand-chose, autant il y a une part de responsabilité importante dans le choix de sa consommation lorsque l’on est conscient des effets de celle ci. Un million de vélos est jeté chaque année en France ! 25 kg de vêtements par personne (sans les chaussures) par an sont acheté et un grande part jetée. Combien de voyage en avion juste pour consommer du paysage et/ou de la culture. Prendre l’avion pour un week-end en amoureux à Barcelone! N’est ce pas absurde. Oui là il faut culpabiliser. Quand on est au-delà de l’essentiel (et tout de même d’un peu de superflu), une fois conscientisé, il est difficile d’excuser certains comportements. Mettre tout sur le dos des « vieux » est un peu facile, et permet à certaines et certains de se donner des excuses dans certains comportements.

Le plus agaçant est que ces excuses : « cela vient du système » viennent parfois de la « gauche écolo » qui se trouve des excuses pour voyager en avion, pour acheter une voiture ou un vélo électrique, un ordinateur neuf. C’est agaçant car ces même personnes pointent du doigts souvent des gens des classes populaires comme non conscientisées. Or ces précaires, ne font jamais un voyage d’un week-end à Budapest ou Berlin et rappelons que d’un point de vue de bilan carbone il est toujours mieux de rouler avec un vieux diesel polluant qu’avec une voiture électrique achetée.

Cessons de contourner la question.

La lutte pour un environnement le moins hostile possible dans les années à venir est un combat immédiat. Elle doit s’appuyer immédiatement sur la lutte des classes mais sans que ce soit une excuse pour repousser des modifications immédiates en terme de comportements individuels et collectifs. La question de la lutte des classes, au sens de la première internationale a toujours été : les moyens créent la fin. Travailler différemment mais aussi consommer différemment.

La question des générations, de l’âge, des soit disant boomers, sont des pièges. Dire que les vieux ont détruit la planète est aussi absurde que de dire les immigrés volent notre travail ou autres sottises.

1Perdre la Terre, Daniel Rich, Le Seuil , 288 pages, Mai 2019

2Rappelons que la notion de libre arbitre est propre à la pensée catholique et qu’elle a été largement critiquée par les penseurs du mouvement ouvrier (cf Bakounine)

ihttps://www.seuil.com/ouvrage/perdre-la-terre-nathaniel-rich/9782021424843

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