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Billet de blog 3 septembre 2024

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Justice et vérité

Si la présomption d'innocence restera essentielle à toute démocratie, son détournement permis par les textes en France apparaît incompréhensible pour le citoyen que je suis. Vous trouverez ici mon retour d'expérience sur le sujet et le regard que je porte sur l'essentialité de la vérité dans la Justice.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'aimerais livrer un témoignage sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : la place de la vérité dans la Justice.

La semaine dernière, j'avais rendez-vous avec une juriste. Je lui ai conté une expérience difficile. Après qu'elle m'a confirmé son caractère "anormal", je lui ai fait part de mon incompréhension quant à la capacité dont disposent les avocats de détourner le principe de la présomption d’innocence en ayant recours au mensonge par omission, voire au mensonge tout court pour défendre leur client. Elle m'a répondu qu'elle ne trouvait pas cela anormal. Le droit était conçu ainsi afin de contrebalancer le pouvoir de l'appareil d’État.

C'est la troisième fois cette année que je suis confronté au sujet. En janvier, j'apprenais que l'amie d'un de mes covoitureurs, avocate, envisageait de changer de métier après que son cabinet lui eut demandé de défendre un auteur de faits graves, avec des chances réelles de le disculper. Fin juin, je surprenais l'une de mes relations avocate s'esclaffer en narrant combien elle avait eu envie de donner des coups de pied sous la table pour que son client se taise, dans une affaire de fraude fiscale. Il y a plusieurs années, un ami avait déjà essuyé les plâtres de ce fonctionnement : il avait dit la vérité, reconnu les faits qui lui étaient reprochés (recours illégal au logiciel d'un tiers) tout en signalant que sa délatrice (l’employeuse qu’il s’apprêtait à quitter) en avait connaissance depuis des années et que l’entreprise de celle-ci avait été la seule bénéficiaire de la fraude. Par l'intermédiaire de son avocate, l’intéressée s'est contentée de nier. Je vous laisse deviner lequel des deux fut condamné. Quoiqu'il en soit, je comprends mieux pourquoi cette ex-collègue juriste qui m'avait volé pour plusieurs milliers d'euros de documents de formation (elle finira par me restituer 85% d'entre eux) s'est échinée à nier les faits et à menacer de me poursuivre en diffamation lorsque je signalai cela à la hiérarchie. En l'absence de témoignages, elle avait toutes les chances de s'en sortir et elle le savait.

Mais que dire lorsque ces règles de fonctionnement sont mises en œuvre dans des affaires autrement plus graves ? Ainsi se tiennent en France, depuis 2014, les procès de génocidaires du Rwanda. Comme l'exigent les lois, il revient aux familles de victimes de fournir les preuves de la culpabilité des meurtriers. À la lumière des expériences précédentes, et étant rappelé que 30 ans après les massacres nombre de témoins sont déjà décédés, le risque de voir des auteurs de ces crimes blanchis par la Justice apparaît singulièrement élevé. C'est à se demander ce que le législateur avait en tête lorsqu'il a instauré ce droit au secret des avocats. De fait, celui-ci constitue la plus grande entrave à l'émergence de la vérité, condition sine qua non d'une Justice juste.

L'innovation majeure de ce siècle, aux impacts sociaux les plus grands, ne réside pas dans l'Intelligence Artificielle. Elle ne réside pas non plus dans les solutions au réchauffement climatique, pourtant vitales. Elle réside dans la suppression de ces prérogatives juridiques, dans l'ensemble des pays concernés. Sur ce point, les anglo-saxons apparaissent en avance sur la France puisque, devant un juge, leurs avocats doivent prêter serment de vérité. Les Gallois ont récemment étendu cette obligation à la classe politique, réputée peu avare en duperies. Espérons qu’en France, dans le Saint des saints que constitue un tribunal, celles et ceux qui abuseront de la cécité – curieuse – imposée à Thémis, seront, dans un avenir proche, lourdement punis.

Je rejoins donc la prise de position de Maître Laure-Alice Bouvier dans le Figaro et dénonce l’approche rétrograde de Maître Julien Nava et ses partisans lesquels, en cherchant avant tout un « combat équilibré » devant le juge, abaissent la Justice à un vulgaire jeu spectacle où les deux parties pourraient l’emporter, même celle qui aurait gravement enfreint le droit. À ce sujet, j’avais sollicité plusieurs avocats afin de connaître leur sentiment sur les verdicts rendus par les tribunaux, et tous m’avaient répondu avoir déjà été confrontés, à plusieurs reprises, à des jugements incompréhensibles. Mais peut-il seulement en être autrement au vu des règles établies ?

En ce qui concerne la citation de Voltaire, «Il vaut mieux cent coupables en liberté qu'un seul innocent en prison», brandie par Maître Nava, elle donne l’impression d’une formule choc destinée à défendre une personne dont Voltaire était convaincu de l’innocence. (Vérification faite, il s’agissait de Jean Calas, un protestant, accusé au XVIIIème siècle, d’avoir tué son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme.) En aucun cas, l’assertion ne serait salutaire pour une société en raison des désordres qu’elle engendrerait. S’il ne faut donc pas se résoudre à ce qu’un innocent aille en prison, il faut encore moins accepter que cent coupables demeurent en liberté. Cela nécessite une évolution des textes, comme prônée par Maître Bouvier. En parallèle, soyons prêts à considérer les avancées technologiques qui pourraient, un jour, contribuer à l'émergence de la vérité. Ainsi, si l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) n’a pas encore fait ses preuves dans le cas de mensonges complexes, rien n’interdit d’espérer qu’elle en offrira l’opportunité à l’avenir, aidée par l’intelligence artificielle, et avec toutes les précautions qui s'imposent. C’est tout le mal que l’on peut souhaiter à notre démocratie.

Cyrille Férec

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