Depuis toujours Sa rue avait été la vie.
Petit enfant déjà il n'avait qu'une envie
quand il rentrait chez lui, de l'école, essoufflé,
repartir s'amuser d'un ballon dégonflé,
rejoindre ses amis qui déjà l'appelaient,
car un tournoi mondial allait s'y dérouler.
Lors il jetait le sac lui servant de cartable,
saisissait au passage des biscuits sur la table,
et courrait, courrait jusqu'à en perdre haleine,
imitant les champions, le football dans les veines.
Mille buts, les plus beaux, mille, jusqu'à la nuit,
mille victoires jusqu'à ce que sa mère lui crie:
« Yalim viens tout de suite, ou t'as rien à manger »
« Encore un maman » « Yalim viens te changer »
« Le dernier maman» « J'envoie ton père tout de suite »
Fin du match par l'arbitre, et il prenait la fuite.
Quelques années plus tard revenant du lycée,
les rêves footballistiques s'étant vites dispersés,
c'est assis aux terrasses des cafés du quartier
qu'il contemplait d'autres rêves les yeux écarquillés.
Les ennemies d'hier, les filles, les tigresses
tout à coup en un souffle devenues des princesses.
Mais une plus que les autres attirait son regard
quand elle venait se perdre dans Sa rue par hasard.
Par hasard, dans Sa rue, du moins le croyait-il.
Puis il en était sûr, il n'était pas son style.
Damla était si belle comment aurait-elle pu
s'intéresser à lui. Le charme était rompu,
sa vie était brisée, pulvérisée, en miettes.
« Bonjour Yalim », il releva la tête.
Sous la surprise, le choc, il faillit basculer
de sa chaise, s'agrippa, et l'esprit bousculé,
ne put que bégayer « Dam Damla c'est bien toi »
Elle éclata de rire « Oui Ya Yalim c'est bien moi »
C'est ainsi que naquit leur histoire d'amour
dans Sa rue devenue paradis pour toujours.
Leurs mains ne se lâchaient plus et puis bientôt leurs lèvres
jusqu'à ce que sans doute agacée par leur fièvre
la règle du jeu changea : On n'avait plus le droit
de s'aimer au grand jour, ainsi était la loi.
Mais que se passait-il dans son pays radieux?
Qui donc étaient ses juges qui se prenaient pour Dieu?
Il fallait résister, se lever et crier
Leur dire que s'aimer n'empêche pas de prier.
Mais ils demeuraient sourds aux mots venus du cœur
et se montraient violents, débordant de rancœur.
Alors pour contester la parole de l'Arbitre
Yalim et ses amis brisèrent quelques vitres.
Ensemble ils hurlèrent, occupèrent Sa rue.
Mais dans un claquement bientôt tout disparut
Damla vit ce soldat faire jaillir l'éclair,
entendit l'impact mou qui pénètre la chair,
une gerbe de sang l'atteignit au visage,
puis un silence de plomb recouvrit cet orage.
Elle n'avait pas mal, mais tout ce sang alors?
Et Yalim s'écroula à terre. Il était mort.
Il ne perçut même pas le coup de sifflet final,
la fin de sa partie, le coup de sifflet fatal.
A jamais dans Sa rue dans une tache rouge
s'est figé le sourire d'un enfant qui ne bouge.
Seuls les fantômes de ses éclats de rire
reviendront dans le soir, nous hanter et nous dire,
que les enfants comme lui n'ont aucune nation,
Palestine, Syrie, Turquie pour l'occasion,
que les enfants comme lui sont nés comme les nôtres
pour courir comme l'air et ne rien faire d'autre
qu'il est des criminels qui tirent sur les foules
qu'il est des criminels et les enfants s'écroulent.