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Journaliste (ex-Reuters), auteure indépendante et grande voyageuse, je vis dans plusieurs langues et cultures.

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Billet de blog 3 avril 2020

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Chronique romaine: la sortie hebdomadaire

Exaltation du voyage pour la sortie hebdomadaire du confinement

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J'ai eu droit à ma sortie hebdomadaire hier après-midi, qui m'a donné un grand sentiment de liberté. A parcourir cinq kilomètres en voiture, seule, sur une route déserte, j'avais l'impression de voyager. Il faisait beau, le soleil brillait à travers les cyprès (on aurait presque eu besoin de lunettes de soleil), et les températures étaient remontées. A présent, je choisis une heure stratégique pour sortir, c'est à dire vers 15h, heure à laquelle les carabinieri ainsi que tous les habitants de ce village viennent de terminer leur déjeuner. Il n'y a personne dans les rues, il y a très peu de gens à la Coop et surtout, il y a beaucoup moins de contrôle de police. Même si mes sorties sont légitimes et réduites au minimum nécessaire, je ne me sens pas complètement tranquille de sortir. C'est la pression psychologique de l'Etat-police, qui, même s'il est plutôt gentil en Italie, n'est pas pour rendre serein. J'ai remarqué que mes autres voisins côté sud dont je n'ai pas encore parlé et qui viennent de Milan, font la même chose. Eux-aussi ne se sentent pas entièrement légitimes parce qu'ils vivent entre deux endroits et ont eu droit au même interrogatoire de police que moi. Pour eux, c'est encore pire, ils viennent du nord, donc plus proche du foyer infectieux.

 Ces voisins ont acheté leur terrain en même temps que nous et ont construit à la même époque. Comme toujours en Italie, c'est une collaboration familiale entre père et fils, ils ont entrepris le projet ensemble et se partagent la maison. Les parents ont un appartement indépendant au rez-de-chaussée, le fils et sa famille (il a un enfant d'une dizaine d'années) occupent le premier étage. Le père, ingénieur de métier, s'est chargé de l'aspect technique de la construction, tandis que son fils a contracté l'emprunt à la banque. Quand nous avons nos échanges habituels de voisinage, le père se plaint toujours du manque de compétences des artisans du coin, et il répète assez que si c'était à refaire, il amènerait ses ouvriers de Milan. Les gens du coin le lui rendent bien, beaucoup d'entre eux se déclarent trop occupés pour effectuer des travaux chez lui quand il leur demande et il s'en plaint davantage. Il faut dire que les Toscans de la Maremma peuvent être assez têtus. Moi aussi, j'ai eu mes déboires le jour où j'ai voulu renégocier le prix d'une prestation. C'était le jour où nous avions fait transplanté les oliviers et l'agriculteur en question m'avait rajouté plusieurs charges supplémentaires par rapport au devis initial (il fallait aller chercher un tracteur en plus, il fallait une personne en plus pour aider, il fallait aussi chercher cette personne chez elle et il y avait tous les kilomètres, etc....). Ayant des doutes sur le bien-fondé de ces demandes, je les ai exprimés ouvertement. Devant ma réticence, la personne ayant réalisé les travaux m'a dit tout simplement: "je ne viendrai plus jamais travailler chez toi." Le verdict était tombé d'un coup, il n'y avait plus à discuter.

Avec le confinement, nos voisins père et fils se retrouvent tous les deux seuls dans leur maison. La mère est restée coincée en Lombardie, ce qui lui convient tout à fait, d'après ce que m'a dit son fils que je l'ai croisé en faisant une promenade dans les champs. Sans trop l'avouer, elle se réjouit de l'épidémie et je la comprends. Enfin, elle peut avoir un peu de temps et d'espace pour elle-même! C'est une femme vive et intelligente qui intervient avec finesse dans les conflits provoqués par son mari. Nous en avons eu un exemple l'année dernière à propos du chemin carrossable que nous partageons et qui devait être refait. Le père et mon mari se sont retrouvés bloqués sur leur position respective, dans un petit affrontement typique des conflits de voisinage et qui ne vaut pas la peine d'être mentionné ici (ils n'étaient pas d'accord sur l'urgence des travaux et n'ont pas le même attachement à leur voiture: mon mari se préoccupait beaucoup moins que notre voisin d'abîmer la sienne). Le différend a finalement été résolu lorsque les deux femmes (la mère et moi-même) s'en sont mêlées et se sont mises d'accord sur les travaux à réaliser. Un mois plus tard, ces travaux étaient entrepris et la question de la route réglée.

Une fois de retour de ma sortie d'hier, arrivée à la maison après avoir emprunté la route dont je viens de parler, j'ai eu un petit blues de retour de voyage. Maintenant, il faudra reprendre pour une autre semaine la vie quotidienne du confinement.

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