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Journaliste à la base, writer et grande voyageuse, j'ai adopté plusieurs langues et cultures. L'itinérance est devenue mon mode de vie et la source de mon écriture.

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Billet de blog 4 décembre 2025

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Episode 12 : L'angoisse du déplacement

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J’angoisse ces jours-ci. J’angoisse pour mes enfants qui peinent à trouver un travail satisfaisant malgré de très bons diplômes, j’angoisse à propos de l’IA qui va tous nous avaler, j’angoisse sur l’avenir d’un monde polarisé, divisé et en conflit permanent, j’angoisse pour ma mère qui se retrouve seule, ses enfants et petits-enfants loin, j’angoisse pour........pour me reprendre ensuite et me demander quelle en est la cause ? Elle ne devrait pas avoir lieu, les choses ne vont pas si mal dans ma vie. Je consulte Google (et non pas ChatGPT) pour me renseigner sur la question. En effet, je souffrirais d’un “trouble anxieux généralisé qui se manifeste par un état d’inquiétude disproportionné associé à des symptômes physiques (des insomnies dans mon cas).”

Je sais par experience que cette angoisse est liée au déplacement, et par là j’entends le fait de vivre dans un pays d’une autre culture et de bouger souvent sans jamais avoir un centre établi. Avec l’expérience et les années, j’ai appris à m’auto-analyser et je pense que ce trouble est lié à mon isolement social. Je travaille seule sur un écran à écrire divers “produits d’écriture”, je vis dans un pays (la Turquie) dont je ne comprends pas la langue ce qui veut dire que je n’ai accès à rien. Je sens qu’il se passe des choses mais je ne les comprends pas. Je ne peux pas suivre l’actualité, je ne peux pas échanger quelques mots au café le matin ou pire pour une journaliste curieuse, je suis dans l’incapacité de saisir ce que les gens pensent vraiment parce que je ne possède pas la clé du langage. J’en souffre. Je n’ai pas accès aux activités sociales qui me permettraient de nouer des liens un peu plus enrichissants, seul le yoga est possible parce que je connais bien la pratique. Et le yoga se pratique en silence, seule sur son tapis. Je suis hors contexte, un état véritablement paralysant. Le sociologue Pierre Bourdieu l’a défini comme un habitus, c’est à dire un contexte social et culturel dont on a intériorisé les codes depuis l’enfance et dans lequel on sait se mouvoir instinctivement. Du fait de ma situation, j’ai perdu mon habitus et je n’en ai pas retrouvé un autre. Je flotte entre plusieurs mondes, ce qui me donne parfois la sensation d’être face à un vide vertigineux.

Pour moi, l’ouverture sur le monde et mon contact quotidien avec mes proches se fait par les réseaux sociaux qui me bombardent de discours alarmistes qui ne font qu’aggraver mon état d’âme, ou de pseudo conseils psychologiques vides de sens. Par le biais d’algorithmes qui m’enferment dans une bulle, ils exacerbent mon sentiment d’isolement. L’éloignement physique s’y ajoutant, font de moi une personne qui se sent éloignée de tout, exilée.

Pour y remédier, je mets beaucoup d’énergie à essayer. Je me lance dans des projets sans savoir où ils me mèneront, j’apprends la langue, je rencontre des gens dans la même situation que moi, mais je sais pour l’avoir déjà vécu que ces tentatives ne permettront pas de construire des liens durables et approfondis, un tissu social comme on l’appelle, puisque je sais d’avance que je devrais repartir. J’aime bien l’analogie du tissu social. Dans le tissage on lie plusieurs fils entre eux qui deviendront une étoffe. Ils sont tellement entremêlés qu’ils deviennent interdépendants, chaque fil étant indispensable pour donner la forme finale et créer un ensemble qui les dépasse mais qui les relie aussi. Quand on ne peut pas s’intégrer dans le contexte, on ne peut pas faire partie du tissu, on reste un fil excédentaire qui perd sa fonction.

Comment faire alors pour se sentir exister ? Voyager ? C’est ma solution, partir et réaliser un de mes objectifs de vie qui est de voir un maximum de pays. Est-ce une solution égoïste ? Je ne sais pas. Solitaire certainement. Et quantitative. J’additionne les pays et j’en fais une liste. D’ailleurs tout est devenu quantitatif dans ma vie. Je mesure les pas quotidiens que je fais, les kilomètres que je parcours, les longueurs que je nage et les marches que je monte. Je compte les sous que je gagne (pas beaucoup) et ceux que je dépense (trop). Je liste les livres que j’ai lus et que je dois encore lire. Idem pour les expos que j’ai vues et que je veux voir. Je compte même les nouveaux amis que je me fais.

La quantification est rassurante. Elle permet d’y voir clair quand tout est flou autour. Elle donne des repères là où ils sont tombés. Elle donne l’impression qu’on avance dans sa vie, que le temps n’a pas été gaspillé et qu’on en a fait quelque chose. N’est-ce pas une illusion ? On attribue à Confucius la maxime qui dit que ce qui compte ce n’est pas ce qu’on fait mais ce que l’on en fait. Et c’est précisément là que tout se coince pour moi. Comment y arriver quand on se sent hors de tout et que partout on reste un observateur externe y compris dans son habitus d’origine ? J’entrevois une possibilité : écrire pour témoigner du monde que je vois avec mes petits yeux d’humain.....

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