La nouvelle est tombée hier soir sur Twitter: à partir d'aujourd'hui, seuls les commerces de première necessité, c'est à dire alimentation et pharmacie, resteront ouverts. Tous les autres sont dans l'obligation de fermer leurs portes jusqu'à avis ultérieur. A Rome, c'est du jamais vu. Ce matin, on peut traverser le lungotevere sans attendre le feu vert au passage piéton, il n'y a pas une seule voiture. Les ruelles sont vides, les places désertes, les volets des boutiques fermés et pourtant, sous le soleil éclatant de ce prémice de printemps, Rome est belle. La place Navone vidée de son bruit habituel, est resplendissante, le Pantheon nous regarde enfin paisible du haut de ses siècles -il en aura vu tellement d'autres-, on peut à nouveau apprécier la perspective géométrique de la place d'Espagne depuis la via dei Condotti, une Rome redevenue grand décor théâtral. J'ouvre mes fenêtres sur la ville et je redécouvre le silence. En allant chez le petit maraicher de la piazza delle Coppelle ce matin, qui lui, reste toujours bien achalandé, j'ai été frappée par la mélodie d'un piano qui sortait d'une des fenêtres à l'étage. Je me suis arrêtée un instant pour l'écouter. Inédit à Rome. Une ville où soudain la multi-sonorité des voitures, vespa, klaxons, invectives, cris, etc.....est remplacée par le son apaisant de la musique. Inédit. La musique, l'art et l'architecture redevenus mode de vie dans une ville au ralenti.
Bien-sûr la situation est difficile, surtout pour les commerces indépendants qui, pris dans l'engrenage des factures à payer, des crédits à rembourser et des employés à soutenir, voient chaque jour fermé comme une malédiction. Dans notre système économique à flux tendu, le moindre dérangement devient étranglement. Arrivera-t-on à tenir? se demandent-ils. Ils n'en sont pas certains. C'est ce que me dit la Librairie française, contrainte elle-aussi de fermer malgré des dispositions d'hygiène strictes. Si le virus persévère, on risque d'assister à un jeu de domino de liquidations. Eux devront fermer boutique quand le commerce en ligne s'en tirera une fois de plus grand vainqueur. Les crises servent aussi à mettre en lumière ce qui ne fonctionne pas: ici c'est tout un modèle économique épuisé qui est remis en question. On le sait tous et on se sent tous démunis. Les grands média nous bombardent de dépêches alarmistes sur la baisse de la croissance quand c'est le concept même d'une économie basée sur la croissance qui est en jeu. Eux non plus ne sont plus crédibles. Une crise peut-etre meurtrière parce que celle qui viendra achever une situation déjà fragile dans un monde en pleine mutation.
En attendant à Rome, si on se laisse porter par le mouvement au lieu de pester contre les restrictions imposées, on peut se permettre de savourer. Les commerces fermés, on est obligé de réapprendre à vivre autrement, sans la consommation comme finalité de l'existence. On ne consomme que ce qui sert à nous nourrir et nous maintenir en bonne santé et on se recentre sur l'essentiel. On apprécie le silence, on reprend possession de notre ville, et on réorganise nos journées avec nos enfants à la maison en permanence. On cuisine ensemble, on étend le linge ensemble, et on travaille ensemble. Quand ils ont leur video-conférence scolaire avec leurs profs, nous avons les nôtres. De temps en temps, on sort faire une promenade, histoire de s'aérer. Au lieu d'être des parents épuisés à cuisiner à la volée au retour du bureau et à stresser leurs enfants à propos des devoirs, nous retrouvons le calme et la respiration. Eux-aussi. Je ne m'y attendais pas, comme beaucoup j'appréhendais de les avoir à la maison, mais à ma grande surprise, j'apprécie. On vit ensemble et c'est bien. Quelle leçons pourrons-nous en tirer une fois cette crise passée? Réussirons-nous à faire des changements permanents dans ce mode de vie qui nous épuise?