L'Etat policier se met en place. Le gouvernement italien a annoncé des mesures encore plus strictes de circulation: sur l'auto-certification, en plus du motif de la sortie, il faudra indiquer si on a déjà testé positif pour le COVID-19 et si on n'est pas soumis à une quarantaine imposée. Le but, c'est de n'avoir plus personne dans les rues, just like the plague. Ce matin, en allant faire mes courses au village avec mon fils de 12 ans, j'ai été arrêtée par les carabinieri locaux, ils m'ont soumise à un interrogatoire détaillé, ce que je faisais là, où j'allais, où je vivais habituellement, pourquoi je sortais, etc.....Je portais un masque chirurgical et des gants, mon fils aussi, ils ont été assez gentils et nous ont laissé repartir. Cet épisode nous a cependant refroidis tous les deux et m'a laissée angoissée pour le reste de la journée. A la Coop (notre supermarché local), j'ai fait le double de courses que prévu pour ne pas avoir à retourner au village dans les prochains jours. J'ai pris de la viande et du pain que je mettrai au congélateur, beaucoup de yaourt, de lait, de la farine et des oeufs ainsi que des fruits et légumes en grande quantité. Avec ça, on devrait tenir au moins une semaine. On devra cependant se limiter sur les produits frais si on ne peut pas sortir tous les jours. Me voyant moi-même faire toutes ces provisions, je repense à ma grande-tante alsacienne, Marthe, depuis longtemps disparue, qui avait moins de 10 ans pendant la première guerre mondiale et qui en est restée traumatisée à vie. Elle avait toujours des provisions de nourriture chez elle, même dans son grand-âge quand elle n'avait plus à nourrir sa famille. Jeunes, on s'en moquait, ne voyant pas l'intérêt d'avoir deux bacs-congélateurs remplis de kilos de viande et de pâtés, et une cave pleine de jambons fumés accrochés au plafond quand nos supermarchés tournaient en sur-abondance. Marquée par la faim, son esprit était resté en mode urgence même après avoir traversé les Trente Glorieuses.
Nous n'en sommes pas là, même si notre Président a bien répété que nous étions en situation de guerre. Même si dans le meilleur des cas, le coronavirus pourra être limité à défaut d'être contenu, ce qui change du jour au lendemain, c'est le sentiment général. Notre sentiment à nous d'individus. Nous sommes passés en état mental d'urgence. Gagnés par l'angoisse, nous changeons d'optique et nous nous recentrons sur l'essentiel: se nourrir, rester en bonne santé et être avec nos proches (quand nous le pouvons). Le reste s'estompe progressivement, alors que le virus gagne du terrain. A cause de cela, même après le virus, ce ne sera plus comme avant. Beaucoup le pressentent déjà. Avec une quarantaine prolongée, sans visibilité précise sur son terme et qui nous met face à nous même, nous nous poserons tous des questions essentielles sur notre façon de vivre et d'être. Beaucoup d'entre nous risquent de prendre à la sortie des décisions radicales sur nos choix de vie, et ces milliers de décisions individuelles agrégées au niveau d'une société peuvent la secouer irréversiblement et lui faire prendre un nouveau tournant. D'où une angoisse encore plus profonde. En attendant à Rome, j'ai appris que notre maraicher du coin doit maintenant livrer à domicile pour éviter les rassemblements. Quant à moi, j'attends ma livraison d'eau prévue pour demain et j'espère bien qu'il n'y aura aucun contretemps d'ici là.