"On porte chacun un livre en soi", a dit un auteur célèbre dont je ne me souviens pas le nom, mais qui ne manque pas d'alimenter à son insu les citations quotidiennes de Google ou autres. En d'autres termes, on porte chacun une histoire mais on ne ressent pas tous l'urgence de la partager par l'écriture. Les malheureux (dont je fais partie) tiraillés par le besoin d'écrire comme forme première de communication et donc de connexion à l'autre, auront besoin de donner une forme matérielle à leur histoire par l'existence d'un livre. Un simple objet, un livre, mais c'est par lui qu'ils se sentiront exister dans le monde. Ils passeront alors par les affres de l'écriture, à commencer par l'écriture, la ré-écriture, suivie de la pause de réflexion avant de se remettre à l'écriture et à la restructuration, puis la correction et l'ultime réécriture, pour arriver enfin (s'ils n'ont pas abandonné en chemin) à la porte de la maison d'édition qu'ils trouveront blindée. Les plus téméraires, ceux qui ne se découragent pas devant les Everest à escalader, frapperont à toutes les portes jusqu'à ce qu'il y en ait une qui s'ouvre.
Ce pénible cheminement qui en décourage plus d'un n'est pas passé inaperçu dans la profession, au contraire, il est devenu, plus que le livre lui-même, source de revenus pour les éditeurs, agents littéraires et tout autre intermédiaire entre l'auteur et ses lecteurs. Vous avez en tête une histoire mais ne savez pas comment affronter la page blanche ? Vous avez des blocages à débloquer ? Ou encore, vous avez rédigé un manuscrit et avez besoin d'aide pour le mettre en forme et solliciter les éditeurs ? Pas de soucis, vous trouverez tous les services dont vous aurez besoin. Il suffit de chercher en ligne pour s'apercevoir de l'ampleur du phénomène. Les ateliers d'écriture organisés par des organisations plus ou moins obscures et des personnes plus ou moins compétentes, abondent. Ils sont là "pour vous aider" à enfanter votre livre et vous redonner confiance en vous-même, point sensible qui accroche tous les créatifs en phase vulnérable.
Même les plus grands tels que Gallimard à Paris ou Faber à Londres ne veulent pas rater cette nouvelle opportunité commerciale. Il est vrai que les revenus tirés de la littérature baissent, il faut trouver de nouvelles stratégies. La prestigieuse maison d'édition française propose des ateliers d'écriture avec des auteurs établis (comprendre : ils sont publiés sans être des superstars) qui ont lieu les weekends ou en soirée pour la somme de 1,500 euros l'atelier. Ça vous parait excessif ? Pas si on se situe sur le marché international.
Au Royaume-Uni, le même type d'atelier coûte le double chez Faber. Sur ce marché d'outre-manche, on n'oublie pas non plus les aspirants auteurs moins pourvus financièrement. Le groupe d'agents littéraires Curtis Brown a lancé il y a quelques années, Curtis Brown Creative, pour proposer des services littéraires en tout genre : organisation d'ateliers à thème, lecture de manuscrit avec commentaires, corrections, et surtout promesse de contact direct avec les professionnels de l'édition. L'éventail de prix est tout aussi large. Les premiers ateliers de base proposés au prix d'environ £300 ne sont même pas animés directement et de manière interactive par un auteur, mais donnent uniquement accès à une vidéo préenregistrée et un groupe de travail avec d'autres aspirants auteurs dans la même situation. Le succès de leur formule, qui ressemble aux stratégies actuelles du monde de l'édition privilégiant la quantité de livres édités sur la qualité pour s'assurer un revenu minimum, est indéniable puisqu'elle est répliquée par d'autres. Sur le dos des auteurs, bien sûr, qui sont prêts à tout pour exister dans le monde. Et dans cette géante loterie au succès, ce sont eux qui font le travail et ce sont surtout eux qui couvrent les risques des maisons d'édition, n'est-ce pas le monde à l’envers ?