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D Magada

Journaliste (ex-Reuters-c'est mon pédigrée), auteure indépendante et grande voyageuse, je vis dans plusieurs langues et cultures. En dehors de l'écriture personnelle qui avance lentement, je suis consultante pour l'ONU et je forme des journalistes à l'international. Ce que j'aime le plus, après mes enfants, c'est de me retrouver dans un endroit inconnu avec un carnet et un stylo.

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Billet de blog 19 septembre 2024

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Episode 3 : Ma nouvelle ville

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Passée ma crise existentielle provoquée par l'essayage de robes trop serrées -en fait, je n'ai pas enflé, ce sont mes robes qui ont rétréci  - j'ai entamé mon dimanche matin dans la bonne humeur. L'odeur du café fraichement moulu y contribue toujours. Il me suffit de sentir le café pour avoir envie de sauter du lit et de m'ouvrir à la journée qui s'annonce. Et donc ce dimanche matin, intoxiquée par ce parfum, je me suis installée sur le petit balcon du salon, un balcon juste assez grand pour deux chaises et un tabouret qui fait office de table basse, avec à la main, une tasse de café préparé dans la moka italienne qui me suit partout. Il faisait encore chaud pour le mois de septembre, je portais un caraco à bretelles.  J'aime ce moment tranquille du weekend où le temps ralentit. Mon fils dormait chez un copain et mon mari était affairé à la cuisine à lire ses emails sur son telephone, l'instant m'appartenait.

 Du balcon, j'ai une vue panoramique de la ville avec au loin la citadelle datant du Moyen-âge, l'Anitkabir ou mausolée d'Ataturk, la grande mosquée Kocatepe (prononcer Kodjateupeu), les tours d'habitation des nouveaux quartiers, et plus près, les multiples toits en tuiles rouges des immeubles du centre, couverts comme partout d'antennes satellitaires. Cette vue au soleil éblouissant du matin, est des plus réjouissante. Je me laissais aller à la contemplation quand l'inevitable question s'est posée: qu'est ce que je vais faire aujourd'hui ?

 C'est la question que je me pose tous les dimanches depuis mon arrivée à Ankara, ville où nous sommes installés depuis peu. Si j'étais à Istanbul, je partirais de bon matin à la découverte de nouveaux quartiers, je déambulerais dans les ruelles de Pera, j'irais visiter un des nombreux musées de la vieille Constantinople, je ferais du lèche-vitrine à Nisantasi, je me promenerais le long du Bosphore pour admirer au loin la multitude de minarets, en bref, je ne manquerais pas d'enrichissement culturel qui justifierait ma paresse à l'écriture.

 Mais je suis à Ankara, une ville nouvelle (100 ans d'existence) perchée au centre du haut-plateau d'Anatolie et entourée de montagnes sèches et pelées d'un brun ochre à perte de vue. Pour changer de paysage, il faut faire trois heures de route. D'ailleurs, je me demande si c'est un paysage naturel ou si la région a souffert du déboisement chronique qui a fait perdre à la planète un tiers de ses forets.

A Ankara le weekend, il y a peu de distraction à part manger. Tous les restaurants et cafés de la ville proposent des Kahvalti, ou brunch où l'on se retrouve en famille ou entre amis pour des attablées prolongées. Mais cette option est d'emblée écartée vu que notre famille est dispersée et que nous n'avons pas encore d'amis. Alors que faire? Dans une vie précédente dans un autre pays avec des enfants d'âge différents et aux goûts les plus variés, la question du déjeuner du dimanche nous occupait la journée entière. C'était une affaire compliquée. Il nous fallait deux heures de discussion préalable rien que pour choisir le restaurant.  L'une voulait manger une chose, l'autre une autre, les suivants encore une autre, ce que proposait l'un était rejeté par les autres. Finalement, on s'accordait pour l'option burger ou le restaurant italien, le compromis suprême qui satisfaisait tout le monde. Le repas terminé, il nous fallait un repos pour se remettre de tant d'agitation.  

 A trois, le choix est plus simple surtout à Ankara où les propositions culinaires tournent autour du type de kebab à manger dans toutes ses subtilités : le Sis kebab, le Cağ kebab, l'Adana kebab, le Çökertme kebab, etc...Un peu comme les pâtes en Italie : les linguine, les penne, les fusilli, les paccheri, etc... et chaque type de pâte a son plat. Ainsi, on ne mange jamais de vongole avec des penne, faute suprême de goût, il faut prendre des linguine ou à la limite des spaghetti. De même ici, on choisit son kebab en fonction de la viande qu'on désire (boeuf ou agneau) et de la cuisson. Un véritable paradis pour les amateurs surtout que les portions sont conséquentes et la qualité de la viande excellente.

 En attendant, ce dimanche dans cette ville nouvelle je me sens tout aussi désoeuvrée. Je pourrais en profiter pour faire une lessive, mon obsession ménagère qui remonte à l'époque où mes enfants étaient petits, quand je faisais des courses contre la montre avec des paniers à linge sale qui m'angoissaient à se remplir trop vite. Mais sur ce point aussi je peux lâcher prise, mon fils, à 16 ans, fait ses propres machines à laver. Autre solution : faire les courses. Ici, les supermarchés sont ouverts tous les jours jusque tard pour faciliter la vie des Ankariotes qui travaillent beaucoup. En revanche, les petites boutiques indépendantes sont fermées le dimanche, héritage du modèle occidental imposé par Ataturk lors de la création de la République il y a cent ans. Mais, autant j'aime les petites boutiques, autant les supermarchés m'ennuient. 

 Il y a aussi le yoga. Je le pratique depuis mon arrivée. C'est ma priorité absolue. Tout sauf écrire ! J'ai très vite trouvé un centre qui me convient et qui propose plusieurs types de yoga, dont l'Ashtanga qui m'aide à me recentrer. Je dois dire que depuis que je n'ai plus d'enfants à déposer à l'école, je n'ai plus d'horaires imposés de l'extérieur, je les remplace donc par des horaires de yoga qui me donnent une routine, condition préalable à l'efficacité dans l'écriture. J'y vais presque tous les jours ce qui m'aide à développer mes connaissances de la langue turque. J'ai appris à compter jusqu'à cinq, temps de maintien d'une posture au yoga, bir, iki, üç, dört, beş. A force de répétition, je devine aussi les mots pour "inspirer" et "expirer",  mais ces derniers sont moyennement utiles dans ma vie quotidienne. Pour le reste, je suis les cours mais je ne comprends rien, absolument rien. En dehors des séances d'ashtanga où l'on pratique toujours les memes enchainements que je connais par coeur, je regarde la personne devant moi pour suivre, ce qui fait que j'ai quelques secondes de décalage par rapport à la classe. Et donc en plus d'être désoeuvrée, je suis aussi illettrée !  

 "Du coup, tu veux faire quoi aujourd'hui, tu as une idée ?" me demande mon mari, qui a laissé son téléphone pour me rejoindre sur le balcon, "Il fait beau, on pourrait sortir," suggère-t-il, en commentant par la même occasion sur la chance qu'on a d'avoir une vue aussi magnifique.

"Je ne sais pas, lui réponds-je, tu en penses quoi ?"

"On pourrait aller à la citadelle manger un kebab, what else ?!" avance-t-il.

"Quelle bonne idée !" conclus-je. "Je n'y aurais pas pensé....."

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