Ma fille ainée arrive ce soir, elle a réussit à avoir un vol Paris-Rome sur Alitalia, mis en place pour rapatrier les Italiens restés à l'étranger et surtout tous les étudiants et stagiaires Erasmus dont elle fait partie. Bien qu'elle ait la double nationalité française-irlandaise, elle a aussi un titre de résidente permanente en Italie, ce qui lui permet de rejoindre notre domicile familial. Elle sera récupérée à l'aéroport de Fiumicino par son père et conduite directement ici, où elle sera confinée sans plus sortir, ni même au village, pour une durée de deux semaines. Elle risque de s'ennuyer à son âge (23 ans), mais elle a préféré cette option à sa petite chambre à Paris où elle ne se sent pas complètement chez elle. Nous rentrons dans le cas de figure de français bi-nationaux vivant dans un pays tiers, une des caractéristiques de ma génération parce que les tous premiers à expérimenter les échanges Erasmus. Nous sommes assez nombreux vu le Registre des Français inscrits à l'étranger. Par notre vie même, nous incarnons l'idée d'intégration européenne mais lorsque les frontières se referment dans des Etats qui redeviennent hyper nationaux, toute la complexité de notre modèle se fait jour.
Je suis retournée au village ce matin faire des courses et chercher de l'eau à la fontaine (je gère mes réserves d'eau potable avec beaucoup d'attention, je ne descends pas en-dessous de 100 litres de stock). J'essaie d'être plus stratégique et d'y aller vers 13 heures quand tout le monde déjeune plutôt que le matin, principalement pour ne pas trop me montrer. Même si j'ai mon domicile ici, je ne me sens pas entièrement légitime et l'état d'anxiété ambiant aussi bien dans le village que dans les grands médias n'est pas pour me rendre plus sereine. Tout le monde porte un masque et des gants dans les petits commerces d'alimentation comme au supermarché, où, à l'entrée, on a mis à disposition du gel à base d'alcool pour les mains. Les gens sortent quand même faire leurs courses et même à l'heure du déjeuner, il y avait encore du monde, en tout cas, je n'ai pas eu l'impression d'un endroit déserté. Comme tout le monde j'angoisse, mais ce n'est pas tant le risque de maladie que l'atmosphère devenue répressive qui me pèse. J'ai d'ailleurs fait une provision de vin et de Prosecco, dont notre consommation a augmenté proportionnellement à la fréquence des titres alarmants.