Ce confinement met en lumière nos fonctionnements à l'intérieur du couple et de la famille, et les dynamiques qui s'y sont installées car quand on retire tout ce qui est périphérique, comme le bureau, la ville, et tous les espaces extérieurs, il reste les relations que nous avons construites (souvent inconsciemment) et qui apparaissent encore plus clairement dans ce huis-clos.
Chez nous, dans notre configuration d'expat, c'est l'urgence qui justifie l'absence de mon conjoint (reparti au bureau à Rome et confiné là-bas), et ma présence par défaut dans toute la logistique familiale, ce back-office salutaire qui lui permet de se plonger dans son travail délesté de toute préoccupation domestique. Ce modèle s'est établi quand nous avons commencé à vivre en expat et que j'ai abandonné ma carrière pour plus de souplesse dans mon emploi du temps, et il s'est affirmé au cours de nos déménagements. Avec la pandémie du coronavirus qui nous a tous pris de cours, il apparait dans toute son évidence. La question de mes activités professionnelles ne se pose même pas, elles sont suspendues et les revenus qui en découlent aussi sans compensation aucune. On ne voyage plus à travers le monde pour former des journalistes en temps de pandémie et on ne prête plus sa plume à des organisations, ces dernières se limitent au minimum vital à leur fonctionnement. Pour elles, je suis périphérique. Je ne sais même pas si le projet de formation de journalistes que j'avais à peine commencé à Addis Abeba il y a trois semaines se poursuivra. Tout dépendra des fonds publics qui financent ce projet et aujourd'hui, personne ne sait comment les fonds publics occidentaux seront redistribués à la sortie. Alors je suis dans l'attente, et dans cette attente confinée à la maison, comme toute mère je me recentre sur mes enfants qui redeviennent demandeurs avec la perte de structure provoquée par la scolarité en ligne.
Cependant, mes réflexions ne pèsent rien face à la tragédie que vit en ce moment ma cousine qui vient de perdre son fils de 16 ans, Lubin, d'une overdose. La pandémie ne protège pas des tragédies ordinaires de la vie, elle les rend encore plus difficile, parce qu'on ne pourra pas se rendre physiquement chez elle pour la soutenir. Elle vit loin de ses proches, y compris de ses parents qui ont la santé fragile. J'ai parfois le sentiment que le monde, notre monde, est en train de s'écrouler....