Dans mes velléités d'écriture, je suis mal organisée et certainement pas assez disciplinée. Dès que le vie reprend le dessus, je ralentis la cadence. Cette chronique en est la preuve: mon dernier billet date du 5 novembre, et donc il y a plus de trois semaines. Je m'étais pourtant promis de respecter un rythme hebdomadaire. Entre temps, j'ai passé quelques jours en famille dans les Cappadoce que je ne connaissais pas, j'ai rédigé mon premier essai pour un Master d'Histoire de l'Art que j'ai repris en septembre en ligne, et j'ai activé mes contacts à Paris pour aider ma fille ainée à trouver un logement. Elle a enfin obtenu un emploi/stage après ses mésaventures de l'été (voir épisode 2). On dit emploi/stage pour justifier une rémunération en-dessous du salaire minimum obligatoire, cela malgré un parcours universitaire respectable - elle a obtenu la note maximale en Master au Politecnico de Milan, une institution prestigieuse en Italie. Après avoir payé son loyer, il lui restera 400 euros par mois pour vivre.
C'est d'ailleurs un grand sujet dans les medias britanniques: la banque de papa et maman, qui accentue les inégalités. Je ne parle meme pas d'héritage et de culture de rente comme au XIXe siècle, mais du fait que dans la génération qui arrive sur le marché du travail, ceux qui ont des parents en mesure de rallonger leurs revenus de quelques centaines d'euros par mois, peuvent se permettre d'accepter des premiers postes mal rémunérés. Et ce phénomène se répand dans tous les secteurs. La fille d'une de mes amies, intéressée par une carrière internationale, était aux anges quand elle s'est vue offrir un stage au PNUD (Programme des Nations-unies pour le développement) à Nairobi. Sauf que le stage n'est pas rémunéré du tout. Elle devra tout financer, y compris son voyage. Elle peut le faire parce qu'elle a des parents cadres qui ont les moyens de suivre. D'ailleurs, il faut voir ces experiences comme un investissement au meme titre que des études supérieures, et non pas comme un emploi. On investit pour franchir le pas de porte et avoir un pied dans le système, le reste suit.
Je dirais meme que ce phénomène n'est pas nouveau, il date de la chute de l'Union soviétique et du capitalisme extreme mis en place dans les années 90 mais il s'est amplifié jusqu'à devenir la norme. J'en avais fait l'experience moi-meme quand à l'époque, j'ai obtenu un stage non-rémunéré à la Commission européenne à Bruxelles. Je n'avais aucun réseau de famille, c'était une chance que je ne pouvais refuser. Tant bien que mal, mes parents (classe moyenne de province, cette espèce en voie de disparition) ont pu tirer six mois encore pour financer mon stage, à un moment de leur vie où ils avaient aussi ma grand-mère à charge. L'investissement a payé: ce stage a fait office de tremplin et m'a permis d'obtenir un premier poste bien rémunéré et de construire une carrière internationale.
Après des débuts spectaculaires, ma carrière est retombée comme un soufflé, et devinez pourquoi: parce que j'ai voulu donné la priorité à mes enfants, en toute indépendance sans avoir un boss qui decide de mon temps. Et me voici aujourd'hui, devant ma page, dans mon café préféré d'Ankara, à digérer un refus supplémentaire dans mes tentatives d'écriture. Cette fois c'était pour une résidence d'écriture, à Bruxelles d'ailleurs. C'est la nouvelle tendance pour les écrivains en herbe (j'entends par là non publiés), postuler pour des résidences d'un mois ou deux qui valident leur travail par leur simple acceptation, selon le raisonnement suivant: "si une résidence m'octroie une place sur la base de mon projet, c'est que le projet est valable et donc je continu à m'investir malgré les refus d'éditeurs".
J'ai été refusée parce que je n'ai pas "une notoriété suffisante auprès des lecteurs", m'a-t-on dit. Très bien, c'est vrai, je comprends, mais si je postule pour une résidence, c'est justement pour chercher un soutien à mon écriture et m'aider à trouver ces lecteurs dans un monde dysfonctionnel où il y a trop de bruit pour se faire entendre. Et si ces résidences n'acceptent que les auteurs qui ont déjà une "certaine notoriété", cela veut dire qu'on favorise toujours les mêmes et on finit par tourner en rond dans des sujets qui s'épuisent et saturent les lecteurs, avec comme résultat, une chute des ventes de livres. N'est ce pas la caractéristique du monde de l'édition actuel?
Je suis aussi lectrice, la plupart des livres qui sortent ne m'intéressent pas ou ne me nourrissent pas, alors je me tourne vers les classiques, ceux qui ont survécu à l'épreuve du temps. Ou alors, ceux qui valent la peine figurent rarement sur la liste des best-sellers ou sur les rayons les plus visibles des librairies. J'en reviens toujours à la même question: il faut revoir tout le système et se demander si dans un monde de l'image, l'écriture a encore sa place et si oui, où et comment?