Hélène Tarcy-Cétout a été assassinée au matin du mardi 8 avril 2024 à Saint-Laurent-du-Maroni alors qu'elle se rendait au travail. Ce meurtre, qui a déclenché d'importantes manifestations, questionne l'inaction des pouvoirs publiques.
Témoin ces lettres ouvertes de 2021 du collectif "Debout SLM" au président de la Collectivité Territoriale de Guyane ainsi qu'au recteur, l'ensemble des causes sociales responsables est connu depuis longtemps.
A Saint-Laurent du Maroni, le 28 novembre 2021
Lettre à Gabriel Serville, Président de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG), M. Serville,
Lundi 28/11 un enseignant a reçu un coup de couteau au bras sur le parking du lycée Bertène Juminer à Saint-Laurent du Maroni. Cette agression a indigné tout le monde et a mené à plusieurs actions ces derniers jours.
Aujourd’hui, nous vous écrivons cette lettre parce que nous vous tenons en partie responsable de la dégradation de la situation dans notre ville. Depuis 10 ans, la CTG n’agit pas suffisamment dans des domaines qui relèvent de ses compétences :
- Pas d’abribus sécurisés sur les routes pour nos enfants
- Pas assez de bus scolaires pour que tous les élèves puissent aller à l’école.
- Pas assez de pistes cyclables et de trottoirs autour des établissements (ou ils sont trop dégradés)
- Trop de retard dans la construction des écoles, collèges et lycées, donc trop d’enfants déscolarisés
- Les logements sociaux que vous construisez ne sont faits que pour dormir, vous ne prévoyez rien autour pour occuper les habitants de ces cités.
- Une seule cantine pour tous les collégiens et lycéens de toute la ville, ça ne suffit pas !
- Pas assez de formations permettant une poursuite d’études à Saint-Laurent après le baccalauréat
- Pas assez de salles informatiques et d’accès à internet dans les établissements scolaires
- Pas assez d’éducateurs spécialisés, de médiateurs de rue, de travailleurs médico-sociaux de la PMI, de l’ASE, du CCAS, du CMP et d’associations diverses, et vous ne leur donnez pas les moyens de travailler correctement.
Nous sommes des habitants de Saint-Laurent du Maroni et nous allons faire une grande manifestation le 2 décembre à 10h devant la Sous-Préfecture pour montrer notre colère et exiger un changement de la situation.
Monsieur le Président de la CTG, venez nous rencontrer pendant la manifestation et participez à une réunion l’après-midi entre la communauté éducative, la CTG, la mairie, la préfecture et le rectorat pour faire de notre ville à nouveau un lieu où il fait bon vivre, où nous nos enfants pourront grandir et apprendre avec les mêmes chances que n’importe quel autre enfant de France.
Dans l’attente de votre retour, nous vous prions de recevoir, M. le Président de la CTG, l’expression de nos salutations engagées.
Le collectif Debout SLM

A Saint-Laurent du Maroni, le 29 novembre 2021
Lettre ouverte à Alain Ayong Le Kama, Recteur de la Guyane
Monsieur le Recteur,
Lundi après-midi dernier à la sortie des cours un de nos professeurs, un de nos collègues, un de nos proches, a reçu un coup de couteau au bras sur le parking du lycée Bertène Juminer à Saint-Laurent du Maroni. Cette agression a soulevé l’indignation de toute la communauté éducative, personnels, élèves et parents d’élèves, et a mené à plusieurs actions ces derniers jours.
Mardi matin, un rassemblement devant le lycée a eu lieu et s’est poursuivi par une marche jusqu’à l’antenne du rectorat puis la Sous-Préfecture. Mercredi, un rassemblement s’est à nouveau spontanément organisé devant la Sous-Préfecture pour soutenir la délégation de huit personnes qui
ont été reçues par le Sous-Préfet. A cette réunion, nous avons été déçus de constater qu’il n’y avait ni représentant de la mairie de Saint-Laurent, ni de la CTG, alors que ces deux acteurs auraient dû être présents car ils ont clairement un rôle à jouer pour désamorcer la situation actuelle. Par ailleurs votre représentante (IA-IEN de l’Ouest) affichait clairement une attitude hostile face à nos revendications pourtant tout à fait légitimes, ne souhaitant aucunement engager une discussion constructive avec notre délégation.
Nous avons malheureusement l’habitude du mépris affiché par M. Blanquer et par vous-même… mais votre absence totale de communication depuis l’incident de lundi, hormis un communiqué de presse où vous nous adressiez le soir-même un simple « message de solidarité », a montré à quel point votre attitude « je m’en foutiste » à notre égard est sans limites. Le fait que l’antenne du rectorat ait fermé ses portes juste avant l’arrivée des manifestants mardi dernier constituait une preuve supplémentaire de votre déni quant à la gravité de la situation dans l’Ouest…
Nous sommes des habitants de Saint-Laurent du Maroni et des autres villes de l’Ouest guyanais. Enfants, parents, enseignants, personnels de vie scolaire.
Nous sommes des enfants de maternelle et de primaire qui n’avons pas eu cours depuis la rentrée de septembre, parce qu’aucun professeur des écoles n’a été affecté dans notre classe.
Nous sommes des enseignants du second degré écartelés entre la réalité du terrain (le nombre d’élèves qui n’ont pas ou peu été scolarisés et qui accumulent les lacunes ne fait qu’augmenter d’années en années) et ce que nos inspecteurs nous demandent (finir les programmes à tout prix – chose impossible sans perdre la moitié des élèves). Savoir lire, écrire et compter, savoir être avec les autres, ne constituent-ils pas les compétences essentielles que tout élève devrait acquérir ?
Nous sommes des parents qui pour beaucoup ne sommes jamais allés à l’école, avons vécu une guerre civile et ne parlons pas votre langue, qui sommes intimidés face à une institution qui est érudite. Et quand nous venons à des rendez-vous, nous sommes perdus, parce que nous ne comprenons pas.
Nous sommes des élèves de collège et lycée dont les cours à effectifs réduits se font de plus en plus rares car vous faites des économies de bouts de chandelle au détriment de notre apprentissage.
Comment peut-on développer notre oral en cours de langues vivantes, comment combattre nos difficultés en français ou en mathématiques si nous sommes à trente élèves pour un seul enseignant ?
Nous sommes des CPE de collège qui recevons chaque jour dans nos bureaux des jeunes incapables de rester en classe parce qu’ils ou elles sont victimes de violences intra-familiales, qu’ils n’ont pas de parents ou que ceux-ci négligent leurs fonctions parentales… Des jeunes qui deviennent absentéistes et que l’on perd, car la procédure de signalement est extrêmement lourde et que l’on a quatre ou cinq bagarres par jour à gérer.
Nous sommes des parents qui regardons impuissants nos enfants porteurs de handicap être laissés pour compte, le mot « inclusion » rimant ici avec « illusion », les structures adaptées (SEGPA, ULIS…) se réduisant à peau de chagrin depuis dix ans avec de moins en moins de moyens matériels et humains (AESH, …).
Nous sommes des lycéennes (des dizaines par lycée) enceintes, dont la grossesse précoce et les conséquences sur la scolarité auraient peut-être été évitées si un vrai plan de prévention était mis en place au niveau académique et de vrais moyens donnés aux établissements et structures médicosociales partenaires.
Nous sommes des enseignants qui depuis des années voyons les postes de nos collègues disparaître les uns après les autres parallèlement à une explosion des effectifs de nos établissements. Ceci rend nos conditions de travail de plus en plus invivables (classes surchargées, perte des heures dédoublées…) et nous empêche de donner à chaque élève toute l’attention qu’il mérite pour réussir dans ses apprentissages.
Nous sommes des CPE pour la plupart contractuels, qui n’avons quasiment aucune formation et qui sommes considérés comme les « urgentistes » des collèges (nous mettons des pansements sur des jambes de bois) et comme les « dresseurs » au lycée.
Nous sommes des centaines de mineurs non-lecteurs qui le resteront parce que les professeurs surnuméraires, eux, disparaissent. Nous sommes des élèves étrangers qui ne parleront jamais le français parce qu’il n’existe pas de dispositifs UPE2A ni d’interprètes en langue maternelle (ILM) en nombre suffisant et que nous suivons les mêmes cours que tous les autres, avec des enseignants non formés qui essaieront de tout faire pour nous aider, mais qui ne peuvent encore une fois pas faire de miracles avec les moyens dont ils disposent…
Nous sommes des parents qui aimerions que nos enfants puissent tous avoir accès à des dispositifs tels que les sections européennes, les sections sportives, les options Théâtre et autres ateliers culturels favorisant le développement personnel, ces mêmes dispositifs qui sont menacés de fermeture chaque année quand arrive la Dotation Horaire Globale (DHG) dans les établissements.
Nous sommes des enseignants, CPE et vie scolaire qui devons remédier très fréquemment aux erreurs d’emploi du temps, à un refus du personnel de direction de nous laisser plus d’autonomie dans la gestion des salles, à l’absence d’accès à internet qui permettrait de faire l’appel en direct et libérerait du temps pour être avec les jeunes… une communauté éducative très souvent infantilisée par nos hiérarchies respectives.
Nous sommes des collégiens et des lycéens qui pour la majorité n’a ni ordinateur, ni tablette à la maison et dont les établissements sont les seuls endroits où il est possible d’accéder à un réseau internet… si nous sommes chanceux ! Car certains des établissements que nous fréquentons n’ont pas de salles informatiques en nombre suffisant ou même l’accès à internet. Le rectorat a pourtant fait de l’accès au numérique pour tous une de ses principales priorités, surtout depuis les confinements successifs…
Nous sommes des enseignants qui voyons des élèves brillants arrêter après leur bac parce qu’ils n’ont pas la possibilité de partir de Guyane pour continuer sur des études supérieures et qu’il n’y a pas un nombre suffisant de formations leur permettant de le faire sur le territoire. Ces mêmes enseignants qui attendent depuis 2017 que l’antenne de l’université de Guyane soit installée à Saint-Laurent (actuellement, seuls trois BTS et une licence 3PE ouverts pour tout l’Ouest…)
Nous sommes des éducateurs spécialisés, des AESH et des AED faisant face à un ministère et un recteur qui continuent à soutenir que laisser le même nombre de personnels de vie scolaire dans des établissements de quartiers aisés et dans des quartiers défavorisés, c’est de l’équité… les mêmes qui persistent à nous considérer comme « des pions » tout justes bons à jouer au gendarme – ou au gardien de prison. Les mêmes qui n’ouvrent quasiment plus de postes mais favorisent des emplois de plus en plus précaires, mettant des personnes de moins en moins formées face à des (pré)adolescents dont les besoins relèvent de la compétence d’éducateurs…
Nous sommes des habitants de Saint-Laurent du Maroni et nous sommes fatigués de voir que pour vous la Guyane s’arrête au point de contrôle d’Iracoubo (si ce n’est avant !). Nos revendications sont les mêmes que celles de nos collègues de l’Est, et pourtant vous ne nous traitez pas de la même manière : hypocrite « message de solidarité » pour le lycée Bertène Juminer, concertations et propositions d’actions actées pour un lycée cayennais. Nous sommes heureux que la mobilisation des élèves et de l’équipe enseignante du LP Michotte ait abouti, mais dépités de constater qu’à problèmes similaires, vous êtes incapable de vous déplacer pour apporter des réponses similaires s’il vous faut
aller plus loin que Cayenne et les communes limitrophes.
Nous sommes des habitants de Saint-Laurent du Maroni en colère et par cette lettre ouverte, nous vous invitons à prendre la mesure de l’ampleur de notre détresse et à apporter enfin des engagements à la hauteur de nos besoins à court, moyen et long terme.
Une manifestation d’envergure se prépare à Saint-Laurent du Maroni le 2 décembre prochain. Pour que celle-ci ait des conséquences à terme, il nous semble nécessaire qu’elle soit suivie dans l’après-midi d’une rencontre entre tous les acteurs impliqués dans le développement de la ville dans tous ses aspects : communauté éducative, CTG, mairie, préfecture, rectorat. Nous vous invitons donc à venir nous rencontrer jeudi à partir de 10h devant la sous-Préfecture et à participer dans l’après-midi à une concertation qui réunira les acteurs précités. Cette réunion sera suivie d’une conférence de presse au cours de laquelle seront détaillées les propositions actées afin de faire de notre ville à nouveau un lieu où il fait bon vivre, où nos enfants pourront grandir et apprendre avec les mêmes chances que n’importe quel autre enfant de France.
Dans l’attente de votre retour, nous vous prions de recevoir, M. le Recteur, l’expression de nos salutations engagées.
Le collectif Debout SLM
