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Billet de blog 7 février 2020

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Derrière les injonctions à publier, une mise en danger de l’édition scientifique

Les rapports préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche annoncent d’importantes menaces sur les publications scientifiques et la diffusion de la recherche. Damien de Blic et Cécile Sorin analysent en quoi la logique d'évaluation qui fonde la LPPR repose sur une absence de réflexion sur le financement et sur une méconnaissance des conditions effectives de ce travail.

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L’édition scientifique est la grande absente des rapports préparatoires à la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (LPPR). Cette absence peut étonner alors même que les trois rapports s’appuient sur une vision de la recherche accordant une place centrale aux logiques d’évaluation faisant la part belle à la bibliométrie. L’impensé dissimule une contradiction de taille : l’injonction à publier plus s’accompagne d’une mise en danger de l’édition scientifique.

L’hégémonie du financement par projet et ses conséquences

Ce sont en premier lieu les logiques de financement défendues par la LPPR qui mettent en danger l’édition scientifique. L’hégémonie du financement par projet entre en contradiction avec les exigences de l’édition scientifique tant pour l’expertise et l’accompagnement scientifique que pour la fabrication des ouvrages et revues. La généralisation des contrats de chantier, déjà dénoncée dans la tribune des revues en grève (Le Monde 29/01/2020), fragiliserait les emplois dédiés à l’édition dans un domaine où le travail s’inscrit dans la durée. La LPPR parait ignorer qu’il faut plusieurs années de publications effectives pour qu’une revue ou une nouvelle collection soit reconnue, identifiée par les pairs, mais également pour que les équipes de chercheurs (comités scientifiques, éditoriaux, auteurs) et celles dédiées à la fabrication (secrétaires d’édition, maquettistes... ) parviennent à optimiser leurs relations de travail dans un environnement en tension permanente.

La temporalité de l’appel à projets n’est pas celle de la publication. L’intégration de budgets de médiation dans les projets ANR ne semble pas conçue pour financer la publication scientifique : la durée de ces projets ne permet pas, dans un même temps, de mener les recherches et d’en finaliser les publications. De même, les soutiens temporaires annoncés par le plan science ouverte ne sont pas en mesure de garantir la pérennité des projets éditoriaux qui choisiraient le modèle de la publication en ligne en accès libre.

La réduction des financements pérennes fragilisera un peu plus l’économie de l’édition scientifique qui n’est pas viable sans soutien public. Alors que l’effort des établissements pour soutenir l’édition scientifique n’est jamais reconnu ou valorisé dans les rapports préalables à la LPPR, que deviendra ce secteur quand l’assèchement des crédits récurrents des laboratoires ne leur permettra plus d’accorder des subventions à la publication ?

Quant à la concentration prévisible des crédits sur les quelques universités qui bénéficieront du label « unités intensives de recherche », elle ne peut que susciter l’appauvrissement parallèle de l’ensemble des autres établissements. Risque alors de disparaître du paysage de la science tout un écosystème de presses universitaires et de revues, affaiblissant du même coup le pluralisme de la recherche comme sa visibilité. Il est douteux d’imaginer que le crowdfunding, comme l’envisage sans rire la nationale science ouverte puisse sérieusement constituer une alternative viable aux financements publics.

Les SHS particulièrement menacées

Le rétrécissement des crédits menace tout particulièrement les SHS et plus généralement la recherche fondamentale. Le modèle de l’essai y est encore déterminant, le critère de publications d’ouvrages personnels restant souvent décisif dans l’appréciation et l’évaluation des carrières scientifiques. Assigner les SHS à des programmes prioritaires autour de « grands défis sociétaux » fait craindre que le modèle de la thèse en 180 secondes l’emporte sur celui de l’ouvrage prenant le temps de dérouler son argumentaire et que le secteur de l’édition universitaire ne puisse y trouver son compte et son équilibre.

Quelle science ouverte ?

La promotion de la science ouverte et de l’édition scientifique open source constitue un enjeu fondamental dans lequel se sont engagées les presses universitaires qui proposent déjà des modes de publication diversifiés. Encore faut-il ne pas s’imaginer que la science ouverte puisse exister, elle aussi, sans financements pérennes et sans personnel qualifié qui puisse s’engager au-delà d’un contrat de chantier. Il importe tout autant que la valorisation de la science ouverte ne se fasse pas au détriment des stratégies d’acquisition des bibliothèques universitaires, ni dans le déni des logiques de publications scientifiquement et collégialement validées.

La logique d’évaluation de la performance scientifique qui fonde la LPPR repose sur une absence complète de réflexion sur le financement des publications supposées appuyer la mesure de cette performance et sur une méconnaissance évidente des conditions effectives de ce travail, supposé immédiat et bénévole. Les 3 rapports de la LPPR projettent en creux l’image d’une publication scientifique fragilisée, précarisée. En ignorant un des acteurs majeurs de la diffusion des savoirs et de la valorisation de la recherche dans la communauté scientifique comme auprès de la société civile, et contrairement aux objectifs affichés, la LPPR offre à la recherche française l’assurance de décrocher du classement international en matière de publications.

A Saint-Denis, le 5 février 2020

Damien de Blic, co-directeur de la collection Libre cours des Presses Universitaires de Vincennes

Cécile Sorin, administratrice provisoire des Presses Universitaires de Vincennes

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